Comme chacun
peut facilement s’en rendre compte, la « Terre Sainte » occupe une
place assez importante dans l’œuvre de Guénon, et ce simple fait devrait faire
réfléchir ceux que n’aveugle pas le soi-disant « bon sens » de la « vie ordinaire » ; il est vrai que ce qui s’y rapporte est
parfois exprimé d’une manière assez allusive. Citons, en guise d’introduction à
ce chapitre, un passage du Roi du monde sur la Shekina, « présence réelle de la Divinité » et parèdre de
Metatron, lequel, comme nous le
savons, « est assimilé ésotériquement au Christ », comme la Shekina elle-même n’est pas sans rapports avec la Vierge, « Vase
de l’Esprit », « Maison d’Or » et « Arche d’Alliance »
selon les litanies (nous citerons en soulignant quelques mots sur lesquels
nous aurons à revenir) :
Il est inutile de dire qu’en tout ceci, c’est de la « répartition des « influences spirituelles » en action dans notre monde » qu’il s’agit, et non de simples « trésors » matériels, comme se l’imaginent tant de « néo-spiritualistes »[7] : « quand on parle du « culte des pierres », qui fut commun à tant de peuples anciens, » écrit Guénon, « il faut bien comprendre que ce culte ne s’adressait pas aux pierres, mais à la Divinité dont elles étaient la résidence » ; mais comme ce point a un rapport très étroit avec le sujet du présent chapitre, il ne sera peut-être pas inutile que nous nous y arrêtions un peu.
Cela dit, il y a au Puy quelque chose qui est peut-être encore plus digne de remarque que tout ce que nous venons de dire, et qui devrait fort intriguer ceux qui ont lu le quatrième des douze chapitres du Roi du Monde. Dans ce livre, Guénon enseigne que les centres spirituels, aussi bien que les hiérarchies spirituelles, sont comme des images, par leurs structures symboliques, des principes informels de l’Existence ; et dans le chapitre en question, intitulé « les trois fonctions suprêmes », il explique qu’au sommet de la hiérarchie de notre monde, conformément à la structure même de l’Univers, il y a trois fonctions cosmologiques fondamentales (auxquelles nous avons déjà fait allusion à propos du Christ comme prophète, prêtre et roi) ; puis, il termine par la description de la structure duodénaire de certains centres spirituels. Nous disons bien duodénaire, et non pas ternaire, ce qui pourrait paraitre étonnant, vu le titre même de ce chapitre ; d’autant plus que, dans La Terre du Soleil, il est parlé des « trois points du triangle » en relation avec le symbolisme du centre spirituel primordial, sans parler de l’article sur les pyramides du Caire, ou encore de divers autres sur le symbolisme maçonnique ; d’ailleurs, vu ce que nous avons dit plus haut de la Maçonnerie et de sa relation avec le « règne du saint Empire », ce n’est peut-être pas sans raison que, dans ces articles, il y ait tant d’allusions à différents ternaires à propos de la constitution des centres spirituels[27].
[4] Sur le Rosicrucianisme, cf. surtout le ch.XXXVIII des Aperçus sur l'initiation (Rose-Croix et Rosicruciens), et aussi le ch.IV de l'Ésotérisme de Dante (Dante et le Rosicrucianisme), dont nous extrairons les lignes suivantes : "Cette doctrine ésotérique, quelle que soit la désignation particulière qu’on voudra lui donner jusqu’à l’apparition du Rosicrucianisme proprement dit (si toutefois on trouve nécessaire de lui en donner une), présentait des caractères qui permettent de la faire rentrer dans ce qu’on appelle assez généralement l’hermétisme. L’histoire de cette tradition hermétique est intimement liée à celle des Ordres de chevalerie ; et, à l’époque dont nous nous occupons, elle était conservée par des organisations initiatiques comme celle de la Fede Santa et des Fidèles d’Amour, et aussi cette Massenie du Saint Graal dont l’historien Henri Martin parle [...] précisément à propos des romans de chevalerie, qui sont encore une des grandes manifestations littéraires de l’ésotérisme au moyen âge [...]" D'autre part, il n'est peut-être pas inutile de rappeler que les organisations du XVIIe siècle qui se firent connaitre sous le titre de Rose-Croix étaient déjà "plus ou moins déviées, ou en tout cas fort éloignées de la source originelle. À plus forte raison en fut-il ainsi pour les organisations qui se constituèrent plus tard encore sous le même vocable, et dont la plupart n’auraient sans doute pu se réclamer, à l’égard des Rose-Croix, d’aucune filiation authentique et régulière, si indirecte fût-elle [Il en fut vraisemblablement ainsi, au XVIIIe siècle, pour des organisations telles que celle qui fut connue sous le nom de « Rose-Croix d’Or »] ; et nous ne parlons pas, bien entendu, des multiples formations pseudo-initiatiques contemporaines qui n’ont de rosicrucien que le nom usurpé, ne possédant aucune trace d’une doctrine traditionnelle quelconque, et ayant simplement adopté, par une initiative tout individuelle de leurs fondateurs, un symbole que chacun interprète suivant sa propre fantaisie, faute d’en connaitre le véritable sens, qui échappe tout aussi complètement à ces prétendus Rosicruciens qu’au premier profane venu." "[...] les occultistes de toute école n’ont absolument aucun droit à se réclamer du Rosicrucianisme, non plus que de tout ce qui présente, à quelque égard que ce soit, un caractère vraiment traditionnel, ésotérique ou initiatique." Cf. encore le ch.III du Théosophisme (La société théosophique et le Rosicrucianisme), ou encore, par exemple, les comptes rendus de The Rosicrucian Fraternity in America, Vol.1 et Vol.2.
[5] "[...] il faut remarquer en outre que le « Saint-Empire » a une signification symbolique, et qu’aujourd’hui encore, dans la Maçonnerie écossaise, les membres des Suprêmes Conseils sont qualifiés de dignitaires du Saint-Empire, tandis que le titre de « Prince » entre dans les dénominations d’un assez grand nombre de grades. De plus, les chefs de différentes organisations d’origine rosicrucienne, à partir du XVIe siècle, ont porté le titre d’Imperator ; il y a des raisons de penser que la Fede Santa, au temps de Dante, présentait certaines analogies avec ce que fut plus tard la « Fraternité de la Rose-Croix », si même celle-ci n’est pas plus ou moins directement dérivée de celle-là." À propos de Maçonnerie et d'hermétisme, nous citerons aussi Parole perdue et mots substitués par souci d'exactitude : "[...] quelles que soient les affinités qui existent entre [la Maçonnerie proprement dite et l'hermétisme chrétien], il n’est cependant pas possible de les considérer comme identiques, car, même lorsqu’ils font jusqu’à un certain point usage des mêmes symboles, ils n’en procèdent pas moins de « techniques » initiatiques notablement différentes à bien des égards."
[14] Citons cependant une lettre de Guénon à Vasile Lovinescu (10 novembre 1936) : "On parle toujours de 7 Pôles secondaires, bien que, naturellement, leur correspondance ait changé suivant les périodes. Le “Roy du Ciel” peut avoir été l’un d’eux, car il est bien entendu que les désignations qui conviennent en premier lieu au Pôle suprême peuvent s’appliquer aussi à ses représentants par rapport à telle ou telle forme traditionnelle."
[18] Jean Reyor, dans le Voile d'Isis d'août-septembre 1929, a publié un curieux article intitulé Le Temple de Paris, dans lequel il est question du "sceau de Salomon" ; nous le reproduisons pour les raisons que nous avons déjà indiquées à propos de L'ordre du Temple et la question des deux Pontificats.
[21] Dans la conclusion de l'Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues, Guénon écrit que "[les préjugés de l'Occident moderne] sont portés à leur plus haut degré chez les peuples germaniques et anglo-saxons, qui sont ainsi, mentalement plus encore que physiquement, les plus éloignés des Orientaux ; comme les Slaves n’ont qu’une intellectualité réduite en quelque sorte au minimum, et comme le Celtisme n’existe plus guère qu’à l’état de souvenir historique, il ne reste que les peuples dits latins, et qui le sont en effet par les langues qu’ils parlent et par les modalités spéciales de leur civilisation, sinon par leurs origines ethniques, chez lesquels la réalisation d’un plan comme celui que nous venons d’indiquer pourrait, avec quelques chances de succès, prendre son point de départ."- "[...] il se peut que le monde soit en réalité beaucoup plus « géométrique » qu’on ne le pense", écrit encore Guénon ; et dans À propos des pèlerinages, il a fait l'éloge de l'article de Grillot de Givry, "Les Foyers du mysticisme populaire", où il est montré que "l'Europe et l' Asie [...] sont deux masses terrestres géométriquement semblables, dont la première est le diminutif de la seconde" (les presqu'îles ibérique, italique avec la Sicile, balkanique et la Bretagne correspondant respectivement aux presqu'îles arabique, hindoustanique avec Ceylan, indo-chinoise et d'Anatolie). Tout ceci fait que nous nous demandons si la France ne serait pas en Europe comme au centre d'une sorte de croix de saint André.
« […] la Shekinah
est la « présence réelle » de la Divinité. Il faut noter que les
passages de l’Écriture où il en est fait mention tout spécialement sont surtout ceux où il s’agit de l’institution
d’un centre spirituel : la construction du Tabernacle, l’édification
des Temples de Salomon et de Zorobabel. Un tel centre, constitué dans des
conditions régulièrement définies, devait être en effet le lieu de la manifestation
divine, toujours représentée comme « Lumière » ; et il est
curieux de remarquer que l’expression de « lieu très éclairé et très
régulier », que la Maçonnerie a
conservée, semble bien être un souvenir de l’antique science sacerdotale qui présidait à la construction des
temples, et qui, du reste, n’était pas particulière aux Juifs ; nous
reviendrons là-dessus plus tard. Nous n’avons pas à entrer dans le
développement de la théorie des « influences spirituelles » (nous
préférons cette expression au mot « bénédictions » pour traduire
l’hébreu berakoth, d’autant plus que
c’est là le sens qu’a gardé très nettement en arabe le mot barakah) ; mais, même en se bornant à envisager les choses à
ce seul point de vue, il serait possible de s’expliquer la parole d’Elias
Levita, que rapporte M. Vulliaud dans son ouvrage sur La Kabbale juive : « Les Maîtres de la Kabbale ont à ce
sujet de grands secrets. »
« La Shekinah
se présente sous des aspects multiples, parmi lesquels il en est deux
principaux, l’un interne et l’autre externe ; or il y a d’autre part, dans
la tradition chrétienne, une phrase qui désigne aussi clairement que possible
ces deux aspects : « Gloria
in excelsis Deo, et in terra Pax hominibus bonæ voluntatis. »
Les mots Gloria et Pax se réfèrent respectivement à
l’aspect interne, par rapport au Principe, et à l’aspect externe, par rapport
au monde manifesté ; et, si l’on considère ainsi ces paroles, on peut
comprendre immédiatement pourquoi elles sont prononcées par les Anges (Malakim) pour annoncer la naissance du « Dieu avec nous » ou « en
nous » (Emmanuel). On
pourrait aussi, pour le premier aspect, rappeler les théories des théologiens
sur la « lumière de gloire » dans et par laquelle s’opère la vision
béatifique (in excelsis) ; et,
quant au second, nous retrouvons ici la « Paix », à laquelle nous
faisions allusion tout à l’heure, et qui, en son sens ésotérique, est indiquée partout comme l’un des attributs
fondamentaux des centres spirituels établis en ce monde (in terra). D’ailleurs, le terme arabe Sakînah, qui est évidemment identique à l’hébreu Shekinah, se traduit par « Grande
Paix », ce qui est l’exact équivalent de la Pax Profunda des Rose-Croix ; et, par là, on
pourrait sans doute expliquer ce que ceux-ci entendaient par le « Temple
du Saint-Esprit », comme on pourrait aussi interpréter d’une façon précise
les nombreux textes évangéliques dans lesquels il est parlé de la « Paix »[1],
d’autant plus que « la tradition secrète concernant la Shekinah aurait quelque rapport à la lumière du Messie ». Est-ce sans
intention que M. Vulliaud, lorsqu’il donne cette dernière indication[2],
dit qu’il s’agit de la tradition « réservée
à ceux qui poursuivaient le chemin qui aboutit au Pardes », c’est-à-dire, comme nous le verrons plus loin,
au centre spirituel suprême ? Ceci amène encore une autre remarque
connexe : M. Vulliaud parle ensuite d’un « mystère relatif au
Jubilé »[3], ce qui se
rattache en un sens à l’idée de « Paix », et, à ce propos, il cite ce
texte du Zohar (III, 52 b) : « Le fleuve qui sort de
l’Éden porte le nom de Iobel »,
ainsi que celui de Jérémie (XVII, 8) : « Il étendra ses racines vers
le fleuve », d’où il résulte que « l’idée centrale du Jubilé est la remise de toutes choses en leur état
primitif ». Il est clair qu’il s’agit de ce retour à l’« état
primordial » qu’envisagent toutes les traditions, et sur lequel nous avons
eu l’occasion d’insister quelque peu dans notre étude sur L’Ésotérisme de Dante ; et, quand on ajoute que « le retour de toutes choses à leur premier
état marquera l’ère messianique », ceux qui ont lu cette étude
pourront se souvenir de ce que nous y disions sur les rapports du « Paradis terrestre » et de la
« Jérusalem céleste ». D’ailleurs, à vrai dire, ce dont il s’agit
en tout cela, c’est toujours, à des
phases diverses de la manifestation cyclique, le Pardes, le centre de ce monde, que le symbolisme traditionnel
de tous les peuples compare au cœur, centre de l’être et « résidence
divine » (Brahma-pura dans la
doctrine hindoue), comme le Tabernacle qui en est l’image et qui, pour cette
raison, est appelé en hébreu mishkan
ou « habitacle de Dieu », mot dont la racine est la même que celle de
Shekinah. »
S’il est dit que « les passages de l’Écriture où
il est fait mention tout spécialement [de la Shekina] sont surtout ceux où il s’agit de l’institution d’un
centre spirituel », laquelle institution est rapportée à « l’antique
science sacerdotale qui présidait à la construction des temples », s’il
est dit que la « Paix », l’aspect « terrestre » de la Shekina, a un rapport avec la naissance
de l’Emmanuel, et qu’elle « est indiquée partout comme l’un des attributs
fondamentaux des centres spirituels établis en ce monde (in terra) », que « la tradition secrète concernant la Shekinah aurait quelque rapport à la
lumière du Messie », et qu’à la « Paix » se rattache le
« mystère relatif au Jubilé », dont l’idée centrale « est la
remise de toutes choses en leur état primitif », laquelle « marquera
l’ère messianique », s’il est en outre fait mention du Paradis terrestre
et de la Jérusalem céleste, et si, en tout ceci, c’est du centre spirituel
suprême « à des phases diverses de la manifestation cyclique » qu’il
s’agit, c’est vraisemblablement parce que la manifestation du Messie, c’est à
dire du Christ, à la fin du cycle, doit être accompagné de la manifestation de
ce centre, qui devrait donc prendre à nouveau pour support une terre dans le
monde « extérieur ».
En outre, s’il est fait mention de la Maçonnerie et des Rose-Croix[4], c’est peut-être en raison de leurs rapports avec la tradition "hermétique" liée à la conception du « Saint-Empire »[5], tradition rapportée par Guénon, comme nous l’avons déjà vu, au « cycle du Graal » et au « cycle des Héros », lesquels sont les « habitants » de la « Citadelle Solaire » qui se manifesteront avec le Christ, « ceux qui poursuivent le chemin qui aboutit au Pardes » et « qui doivent ainsi préparer la venue d’un nouvel âge d’or ». D’ailleurs, à propos de la signification eschatologique de la "légende du saint-Graal", il y a une curieuse remarque dans le premier des articles que Guénon a donné à la revue Regnabit : "[...] le Graal est à la fois un vase (grasale) et un livre (gradale ou graduale). Dans certaines versions, les deux sens se trouvent même étroitement rapprochés, car le livre devient alors une inscription tracée par le Christ ou par un ange sur la coupe elle-même. Nous n’entendons actuellement [c'est nous qui soulignons] tirer de là aucune conclusion, bien qu’il y ait des rapprochements faciles à faire avec le « Livre de Vie » et avec certains éléments du symbolisme apocalyptique."
Si l’on ajoute que, pour savoir où se trouve le « secret du Saint Graal », il faut « se reporter à la constitution très « positive » des centres spirituels » (« ainsi », dit-Guénon, « [qu’il] l’a indiqué assez explicitement dans [son] étude sur Le Roi du Monde »), on pourrait se demander si, de même qu’il semble assez naturel qu’il y ait un certain rapport spécial entre le Christ et la tradition chrétienne, il ne devrait pas y en avoir un aussi entre Celui-ci et l’aire géographique plus particulièrement destinée à cette tradition[6] ; et il va de soi que, dans le cycle de la légende du Graal, c’est surtout de centres spirituels occidentaux qu’il s’agit. Quant au « Saint Empire », si, comme nous l’avons vu, c’est à la toute fin du cycle qu’il se rapporte véritablement, il eut comme une « préfiguration » ou une « préparation » dans la chrétienté du moyen âge ; et il se pourrait que la « mission » des « héros solaires » ou « chevaliers du Saint Graal » consistant à construire l’Arche dans laquelle doivent être enfermés les germes du cycle futur ne soit pas sans rapport avec la préparation d’un lieu apte à servir de support à la manifestation du Verbe ; peut-être pourrait-il y avoir là quelque rapport avec la consécrations des temples, des images et des objets rituels, ayant pour but, écrit Guénon, « d’en faire le réceptacle effectif des influences spirituelles sans la présence desquelles les rites auxquels ils doivent servir seraient dépourvus d’efficacité » ; mais nous citerons surtout comme particulièrement significatif à cet égard, bien qu’assez énigmatiques, les passages des visions de la bienheureuse Catherine Emmerich sur Melchissédech et d’autres personnages qui lui sont associés :
En outre, s’il est fait mention de la Maçonnerie et des Rose-Croix[4], c’est peut-être en raison de leurs rapports avec la tradition "hermétique" liée à la conception du « Saint-Empire »[5], tradition rapportée par Guénon, comme nous l’avons déjà vu, au « cycle du Graal » et au « cycle des Héros », lesquels sont les « habitants » de la « Citadelle Solaire » qui se manifesteront avec le Christ, « ceux qui poursuivent le chemin qui aboutit au Pardes » et « qui doivent ainsi préparer la venue d’un nouvel âge d’or ». D’ailleurs, à propos de la signification eschatologique de la "légende du saint-Graal", il y a une curieuse remarque dans le premier des articles que Guénon a donné à la revue Regnabit : "[...] le Graal est à la fois un vase (grasale) et un livre (gradale ou graduale). Dans certaines versions, les deux sens se trouvent même étroitement rapprochés, car le livre devient alors une inscription tracée par le Christ ou par un ange sur la coupe elle-même. Nous n’entendons actuellement [c'est nous qui soulignons] tirer de là aucune conclusion, bien qu’il y ait des rapprochements faciles à faire avec le « Livre de Vie » et avec certains éléments du symbolisme apocalyptique."
Si l’on ajoute que, pour savoir où se trouve le « secret du Saint Graal », il faut « se reporter à la constitution très « positive » des centres spirituels » (« ainsi », dit-Guénon, « [qu’il] l’a indiqué assez explicitement dans [son] étude sur Le Roi du Monde »), on pourrait se demander si, de même qu’il semble assez naturel qu’il y ait un certain rapport spécial entre le Christ et la tradition chrétienne, il ne devrait pas y en avoir un aussi entre Celui-ci et l’aire géographique plus particulièrement destinée à cette tradition[6] ; et il va de soi que, dans le cycle de la légende du Graal, c’est surtout de centres spirituels occidentaux qu’il s’agit. Quant au « Saint Empire », si, comme nous l’avons vu, c’est à la toute fin du cycle qu’il se rapporte véritablement, il eut comme une « préfiguration » ou une « préparation » dans la chrétienté du moyen âge ; et il se pourrait que la « mission » des « héros solaires » ou « chevaliers du Saint Graal » consistant à construire l’Arche dans laquelle doivent être enfermés les germes du cycle futur ne soit pas sans rapport avec la préparation d’un lieu apte à servir de support à la manifestation du Verbe ; peut-être pourrait-il y avoir là quelque rapport avec la consécrations des temples, des images et des objets rituels, ayant pour but, écrit Guénon, « d’en faire le réceptacle effectif des influences spirituelles sans la présence desquelles les rites auxquels ils doivent servir seraient dépourvus d’efficacité » ; mais nous citerons surtout comme particulièrement significatif à cet égard, bien qu’assez énigmatiques, les passages des visions de la bienheureuse Catherine Emmerich sur Melchissédech et d’autres personnages qui lui sont associés :
« [Salem] était pour Melchissédech comme un point
central d’où il se rendait soit à Jérusalem où il bâtissait, soit auprès
d’Abraham, soit ailleurs : il y réunissait des familles et des individus
auxquels il assignait des résidences et qui s’établissaient dans un endroit ou
dans un autre. »
« Là où il agissait et bâtissait, il semblait
poser la pierre fondamentale d’une grâce future, attirer l’attention sur un
lieu, commencer quelque chose qui était destiné à un grand avenir. »
« Je l’ai déjà vu antérieurement paraître en
divers endroits de la Terre Promise, lorsqu’elle était encore tout à fait
déserte, longtemps avant le temps de Sémiramis et d’Abraham ; il semblait
disposer le pays d’avance, désigner et préparer certains lieux ; ainsi je
crois qu’il a ouvert la source du Jourdain. »
« Je le vis ainsi ouvrir des sources en divers
lieux de la terre »
« Melchissédech avait mesuré les chemins et posé
les fondations des lieux où le Père Céleste voulait que le Fils de l’homme
passât »
« Je vis, à une époque très reculée, longtemps
avant l’arrivée d’Abraham, trois hommes d’un teint plus basané que ce
patriarche, habiter ici dans des cavernes. […] C’était un point de leur
religion que Dieu voulait contracter une alliance avec les hommes et qu’ils
devraient s’employer de tout leur pouvoir à la préparer […] Je vis ces hommes
parcourir les différentes parties du pays, creuser des puits, défricher des
terrains incultes et poser des fondements dans des endroits où, plus tard, des
villes furent bâties. Je les vis dans certaines contrées, chasser les mauvais
esprits répandus dans l’air et les reléguer dans d’autres lieux malsains,
marécageux, couverts de brouillards […] Je m’étonnais d’abord que des villes
dussent s’élever sur les emplacements où ils posaient des pierres, parce que
les traces de leur passage ne tardaient pas à disparaître sous une végétation
sauvage, et cependant j’eus une vision où me furent montrés beaucoup d’endroits
qui avaient été bâtis sur ces pierres […] Je les vis aussi tracer dans la
contrée, alors impraticable, des chemins aboutissant aux lieux où ils avaient
posé des pierres fondamentales, creusé des puits, semé des plantes utiles, en
sorte que les hommes qui vinrent plus tard, suivirent ces chemins et
s’établirent tout naturellement près des puits et des emplacements déjà préparés
et produisant des fruits […] Ils préparèrent de cette manière la fondation des
villes où naquirent la plupart des prophètes. […] Ils furent à certains égards
pour Abraham ce que Jean-Baptiste fut pour Jésus. Ils disposèrent et
nettoyèrent le terrain, préparèrent le chemin et tracèrent aux eaux leurs cours
pour l’ancêtre du peuple de Dieu : quant à Jean, il disposait les cœurs à
la pénitence et à la régénération en Jésus-Christ. Ils firent pour Israël ce
que Jean fit pour l’Église. J’ai vu encore dans d’autres endroits quelques
hommes semblables à ceux-là ; je crois qu’ils y avaient été établis par
Melchissédech. »
Commentant ce dernier passage dans un article paru
dans Le Voile d’Isis en 1932, Jean
Reyor écrit que « dans un ordre d’idée voisin, nous trouvons dans la
tradition hermétique l’indication d’adeptes voyageurs qui vont enfouir, à
certains endroits déterminés, des métaux et surtout de l’or alchimique servant,
comme les pierres dont parle Catherine Emmerich, de support à des influences
spirituelles […]. Ceci est à rapprocher des « tertons » de la
tradition thibétaine, « endroits secrets où il est dit que des écritures
mystiques sont cachées jusqu’à un temps déterminé. Padma-Sambhava, le fondateur
du lamaisme, est dit y avoir déposé des écrits qui ne seront ouverts et révélés
que dans les temps futurs (il y aurait 108 tertons. Le nombre de 108 est bien
entendu symbolique) ». Ce nombre est un des nombres cycliques fondamentaux indiqués par Guénon, qui écrit par ailleurs, dans une lettre à Lovinescu : "Maintenant, pour ce
qui est de l’emplacement des anciens centres et de ce qui peut y rester,
je pense à autre chose : il y a des histoires de “talismans” qui
auraient été enterrés en certains endroits, et la résurrection des
centres correspondants serait liée à leur découverte ; je ne pense
d’ailleurs pas qu’il faille prendre cela à la lettre, mais il y a
sûrement là l’indication de quelque chose d’important."
Il est inutile de dire qu’en tout ceci, c’est de la « répartition des « influences spirituelles » en action dans notre monde » qu’il s’agit, et non de simples « trésors » matériels, comme se l’imaginent tant de « néo-spiritualistes »[7] : « quand on parle du « culte des pierres », qui fut commun à tant de peuples anciens, » écrit Guénon, « il faut bien comprendre que ce culte ne s’adressait pas aux pierres, mais à la Divinité dont elles étaient la résidence » ; mais comme ce point a un rapport très étroit avec le sujet du présent chapitre, il ne sera peut-être pas inutile que nous nous y arrêtions un peu.
En effet, il est curieux de constater que Guénon nous
fasse en quelque sorte suivre, tout le long de l’histoire judéo-chrétienne, le
cheminement du « Saint Graal », qui peut prendre la forme d’une
pierre aussi bien que d’une coupe, et dont la possession représente la
conservation intégrale de la tradition primordiale dans un centre spirituel
destiné à remplacer le Paradis perdu. On peut l’identifier à la coupe dont se
servit Melchissédech lors de la « bénédiction » d’Abraham, et que
Catherine Emmerich identifie d’ailleurs, d’après ses visions, au calice qui
servit à la Cène ; ce fut aussi la pierre que Jacob consacra à Béthel ;
la coupe « oraculaire » de Joseph (cf.Genèse, XLIV, 5.) ; la pierre « qui suivait les Israélites
dans le désert et d’où sortait l’eau dont ils buvaient[8],
et qui, selon l’interprétation de saint Paul, n’était autre que le Christ
lui-même[9] ;
elle serait devenue ensuite la pierre shethiyah ou
« fondamentale », placée dans le Temple de Jérusalem au-dessous de
l’emplacement de l’arche d’alliance […] » ; ce fut encore la coupe
qui servit à la Cène, et dans laquelle Joseph d’Arimathie recueillit le sang et
l’eau qui s’échappaient de la blessure du Christ, avant de la transporter en Grande-Bretagne[10] ;
puis la Lia Fail ou « pierre de
destinée », la pierre du sacre des anciens rois d’Irlande, « devenue
par la suite celle des rois d’Angleterre, ayant été, suivant l’opinion la plus
communément admise, apportée par Édouard Ier à l’abbaye de
Westminster » ; cette appropriation par Edouard Ier est peut-être
d’ailleurs illégitime, car elle est décrite comme un vol ; et, quand on
ajoute que, selon Guénon, la légende du Saint Graal a trait au transfert du Graal de Grande-Bretagne
en Armorique, cela ne jette-t-il pas une singulière lumière sur les conflits
« franco-anglais » depuis Aliénor d'Aquitaine et Philippe Auguste jusqu’à Du Guesclin et
Jeanne d‘Arc ? Quant au transfert du Graal en Gaule, il faut rappeler,
d’une part, que les druides « doivent être comptés parmi
les conservateurs réguliers de la tradition primordiale » ; les
allusions de Guénon à « l’Église celtique » ou « culdéenne », ainsi qu’à l'Irlande et à saint Patrice ; l’influence
des moines ou clercs irlandais sur le continent, de saint Colomban à
Alcuin ; et, d’autre part, l’amitié qui lia saint Bernard (« en qui
certains veulent voir, non sans quelque raison, » écrit Guénon, « le
prototype de Galaad, le chevalier idéal et sans tache, le héros victorieux de
la « queste du Saint Graal » ») et l’irlandais saint Malachie
d’Armagh, mort dans ses bras à Clairvaux, et dont il porta la tunique sur lui
pour le reste de ses jours. Ceci dit, Guénon cite encore
l’historien Martin, à propos du Titurel
de Wolfram d’Eschenbach, qui place « en Gaule, sur les confins de l’Espagne, » le
centre où est conservé le Saint Graal, lequel, dit-on, fut finalement transporté dans le « Royaume du prêtre Jean », ce dernier représentant le « Roi du Monde » ; et ce qui
est curieux, c’est que Guénon mette le Graal de Wolfram d’Eschenbach en relation avec la
« pierre noire » envoyée jadis par le « Roi du Monde » au Dalaï Lama (lequel aurait représenté le
prêtre Jean « depuis l’époque des invasions musulmanes »), puis
transportée à Ourga, en Mongolie, « que certains ont voulu précisément
assimiler au « royaume du prêtre Jean » » (« bien que
d’ailleurs », ajoute Guénon, « aucune localisation géographique ne
puisse ici être acceptée littéralement ») ; et puisque Guénon ajoute bizarrement
que cette pierre « disparut il y a environ cent ans », on peut se
demander si c’est pour être définitivement occulté, où bien pour réapparaitre
quelque part…
On voit que la question des « influences
spirituelles » est étroitement liée à celle de l’histoire et de la
« géographie sacrée » ; à cet égard, il nous semble opportun de
citer ces lignes du Règne de la quantité et les signes des temps :
« Le mouvement alternatif des échanges peut […]
porter sur les trois domaines spirituel (ou intellectuel pur), psychique et
corporel, en correspondance avec les « trois mondes » : échange
des principes, des symboles et des offrandes, telle est, dans la véritable
histoire traditionnelle de l’humanité terrestre, la triple base sur laquelle
repose le mystère des pactes, des alliances et des bénédictions, c’est-à-dire,
au fond, la répartition même des « influences spirituelles » en
action dans notre monde […] »
Nous pouvons voir comme une illustration de ces
pactes, de ces alliances ou de ces bénédictions (nous ne savons ce qu’il
faudrait dire ici ; peut-être les trois à la fois) dans la rencontre
d’Abraham et de Melchissédech : il y a là « une véritable
investiture », écrit Guénon,
« presque au sens féodal de ce mot, mais avec cette différence qu’il
s’agit d’une investiture spirituelle ». Cela n’empêche d'ailleurs pas que, comme il
l’explique par ailleurs, Melchissédech représente la source de toute autorité
légitime, temporelle aussi bien que spirituelle, comme on peut le voir avec la
consécration des rois Saül et David par le prophète Samuel[11] ; et le sacre des rois, comme la "bénédiction" d'Abraham, est bien aussi la communication d’une influence
spirituelle, influence "qui se manifestait même parfois au dehors par des effets nettement sensibles", souligne Guénon, qui donne comme exemple "le pouvoir de guérison des rois de France". À cet égard, nous rappellerons l’origine céleste reconnue à
la Sainte-Ampoule, qui contenait, d’après le rite, « l’huile sainte dont furent
oints les rois et les prophètes et dont Samuel se servit pour consacrer
David » ; et nous finirons par rappeler l’exemple historique d’une « alliance » ou d'un « pacte » particulièrement significatif
pour ce que nous allons avoir à dire dans la suite de ce chapitre, alliance dont le « prêtre » fut Jeanne d'Arc (et l'on sait qu'un ange, déjà, avait apporté une couronne au roi) :
« Un jour, la Pucelle
demanda au roi de lui faire un présent. La prière fut agréée... Elle demanda
alors que le royaume de France fut le présent sollicité : le roi étonné le lui donna
après quelque hésitation, et la jeune fille l’accepta ; elle voulut même que l’acte
en fut dressé et lu par les quatre secrétaires du roi. La charte rédigée et lue
à haute voix, le roi resta un peu ébahi, lorsque la Pucelle le montrant à
l’assistance dit : «Voilà le plus pauvre chevalier du royaume ; et après un peu
de temps, en présence des mêmes notaires, disposant en maîtresse du royaume de
France, elle le remit entre les mains de Dieu tout-puissant. Puis au bout de
quelques autres moments, elle investit le roi Charles du royaume de France. De
tout cela elle voulut qu’un acte solennel fut dressé par écrit ».
***
Souvent, Guénon est revenu sur l’union des deux
pouvoirs sacerdotal et royal dans la personne du Christ, question sur laquelle
il a même écrit un article spécial ; et cela se comprend sans peine,
puisqu’à la fin du cycle, le Christ doit manifester son autorité à la fois dans
le domaine de la connaissance et dans celui de l'action ; mais il y a
quelque chose de plus encore. En effet, bien que le pouvoir temporel ait son
principe dans l'autorité spirituelle, l'un et l'autre apparaissent à un certain
point de vue comme complémentaires ; et tout complémentarisme implique un
principe qui lui soit supérieur, principe qui, en l’occurrence, devra être
manifesté extérieurement à la fin du cycle par le Christ. Citons maintenant une
phrase tirée du Roi du monde :
« […] au moyen âge, le pouvoir suprême (selon les
apparences extérieures tout au moins) était divisé [en Occident] entre la
Papauté et l’Empire. Une telle séparation peut être considérée comme la marque
d’une organisation incomplète par en haut, si l’on peut s’exprimer ainsi,
puisqu’on n’y voit pas apparaître le principe commun dont procèdent et
dépendent régulièrement les deux pouvoirs ; le véritable pouvoir suprême
devait donc se trouver ailleurs. »
Or, il nous semble que Guénon a par ailleurs assez
souvent et explicitement indiqué que ce pouvoir suprême se trouvait du côté des
templiers et de saint Bernard ; voici quelques extraits significatifs à
cet égard :
« Moine et chevalier tout ensemble, ces deux
caractères étaient ceux des membres de la « milice de Dieu », de l’Ordre du
Temple ; ils étaient aussi, et tout d’abord, ceux de l’auteur de leur règle, du
grand saint qu’on a appelé le dernier des Pères de l’Église, et en qui certains
veulent voir, non sans quelque raison, le prototype de Galaad, le chevalier
idéal et sans tache, le héros victorieux de la « queste du Saint Graal » »
(Saint Bernard)
« [Ce n’est donc pas sans raison] que Dante prend
comme guide, pour la fin de son voyage céleste, saint Bernard, qui établit la
règle de l’Ordre du Temple ; et il semble avoir voulu indiquer ainsi que
c’était seulement par le moyen de celui-ci qu’était rendu possible, dans les
conditions propres à son époque, l’accès au suprême degré de la hiérarchie
spirituelle. » (L ‘ésotérisme
de Dante, ch.II)
« [...] on pourrait établir une comparaison entre
les rôles respectifs des trois guides de Dante, Virgile, Béatrice et saint
Bernard, et ceux du pouvoir temporel, de l’autorité spirituelle et de leur
principe commun ; en ce qui concerne saint Bernard, ceci est à rapprocher de ce
que nous indiquions précédemment. » (Autorité Spirituelle et Pouvoir Temporel, ch.VIII)
Il est inutile de mentionner les rapports de saint
Bernard et des templiers avec le « royaume de France » ; nous
rappellerons seulement l'espèce de résumé qu'a fait Guénon de la légende du
Saint Graal (dont le « secret », rappelons-le, a un rapport avec
« la
constitution très « positive » des centres
spirituels ») : La table est un des symboles « qui furent
toujours associés à l'idée des centres spirituels », écrit-il, et « la « Table Ronde », construite par le roi
Arthur[12] sur les plans de Merlin, était destinée à recevoir le Graal lorsqu’un des
Chevaliers serait parvenu à le conquérir et l’aurait apporté de Grande-Bretagne
en Armorique », c'est à dire dans la France actuelle.
Notons toutefois que, selon Guénon, l'apogée du moyen âge
ne se situe pas au XIIe siècle, celui de saint Bernard, mais au XIIIe, celui de
saint Louis[13]. Or, ce
dernier, plus peut-être encore que saint Bernard, est une figure évidente du
« pouvoir suprême », si évidente d'ailleurs qu'on peut se demander
pourquoi Guénon n'y fait nulle part allusion (nous ne voyons guère à signaler qu'une citation spirite, dont nous auront à reparler, ainsi qu'une note du Roi du monde dans laquelle il est question de « l'époque de
saint Louis » à propos du « prêtre Jean », figure du pouvoir
suprême). De même que saint Bernard était en quelque sorte « moine et
chevalier tout ensemble », saint Louis, pourrait-on dire, était à la fois
prêtre et roi, et la délivrance de la « Terre Sainte » était une des
grandes préoccupations de l'un comme de l'autre. Les historiens, même simplement
académiques, ne manquent guère à son sujet de faire allusion aux attributs
fondamentaux du « Roi du monde », la « Justice » et la
« Paix », ou encore à la figure de Salomon, dont le nom signifie
« le Pacifique », et qui édifia le temple de Jérusalem (cf. Le
Roi du monde, ch.VI) ; toutefois,
c'est peut-être la figure du Christ qui lui est le plus couramment associée :
ne dit-on pas qu'il mourut en prononçant les dernières paroles de Celui-ci sur
la croix ? La couronne d'épine qu'il fit venir dans son royaume est à cet
égard particulièrement emblématique, et si l'on se rappelle que pour Jeanne
d'Arc, c'est le Christ qui est vrai roi de France[14], il est peut-être permis de
se dire que saint Louis en fut une sorte de « préfiguration »[15] ;
mais nous allons voir que Guénon lui-même a associé d'une certaine manière le
Christ et la France. Qu'on lise par exemple ce long extrait d'un article sur Les symboles de l'analogie :
« Dans le symbolisme chrétien, [la figure basée
sur la roue à six rayons, mais sans circonférence] est
ce qu’on appelle le chrisme simple ; on la regarde alors comme formée par
l’union des deux lettres I et X, c’est-à-dire des initiales grecques des deux
mots Jêsous Christos, et c’est là un
sens qu’elle paraît avoir reçu dès les premiers temps du christianisme ;
mais il va de soi que ce symbole, en lui-même, est fort antérieur, et, en fait,
il est un de ceux que l’on trouve répandus partout et à toutes les époques. Le
chrisme constantinien, qui est formé par l’union des lettres grecques X et P,
les deux premières de Christos,
apparaît à première vue comme immédiatement dérivé du chrisme simple, dont il
conserve exactement la disposition fondamentale, et dont il ne se distingue que
par l’adjonction, à la partie supérieure du diamètre vertical, d’une boucle
destinée à transformer l’I en P. Cette boucle, ayant naturellement une forme
plus ou moins complètement circulaire, peut être considérée, dans cette
position, comme correspondant à la figuration du disque solaire apparaissant au
sommet de l’axe vertical ou de l’« Arbre du Monde » [faut-il rapprocher cette dernière remarque de ce que nous avons dit, à la fin du deuxième chapitre de cette étude, sur la parole du Christ à Marie-Madeleine au tombeau ?] […]
« Il est intéressant de noter, en ce qui concerne plus
spécialement le symbolisme héraldique, que les six rayons constituent une sorte
de schéma général suivant lequel ont été disposées, dans le blason, les figures
les plus diverses. Que l’on regarde, par exemple, un aigle ou tout autre oiseau
héraldique, et il ne sera pas difficile de se rendre compte qu’on y trouve
effectivement cette disposition, la tête, la queue, les extrémités des ailes et
des pattes correspondant respectivement aux pointes des six rayons ; que
l’on regarde ensuite un emblème tel que la fleur de lis, et l’on fera encore la
même constatation. Peu importe d’ailleurs, dans ce dernier cas, l’origine
historique de l’emblème en question, qui a donné lieu à nombre d’hypothèses
différentes : que la fleur de lis soit vraiment une fleur, ce qui
s’accorderait en outre avec l’équivalence de la roue et de certains symboles
floraux tels que le lotus, la rose et le lis (ce dernier, du reste, a en
réalité six pétales), ou qu’elle ait été primitivement un fer de lance, ou un
oiseau, ou une abeille, l’antique symbole chaldéen de la royauté (hiéroglyphe sâr), ou même un crapaud[16],
ou encore, comme c’est plus probable, qu’elle résulte d’une sorte de
« convergence » et de fusion de plusieurs de ces figures, ne laissant
subsister que leurs traits communs, toujours est-il qu’elle est strictement
conforme au schéma dont nous parlons, et c’est là ce qui importe
essentiellement pour en déterminer la signification principale.
« D’autre part, si l’on joint les extrémités des six
rayons de deux en deux, on obtient la figure bien connue de l’hexagramme ou
« sceau de Salomon », formée de deux triangles équilatéraux opposés
et entrelacés ; l’étoile à six branches proprement dite, qui en diffère en
ce que le contour extérieur seul est tracé, n’est évidemment qu’une variante du
même symbole. L’hermétisme chrétien du moyen âge voyait entre autres choses,
dans les deux triangles de l’hexagramme, une représentation de l’union des deux
natures divine et humaine dans la personne du Christ ; et le nombre six,
auquel ce symbole se rapporte naturellement, a parmi ses significations celles
d’union et de médiation, qui conviennent parfaitement ici[17].
Ce même nombre est aussi, suivant la Kabbale hébraïque, le nombre de la
création (« l’œuvre des six jours » de la Genèse, en relation avec les six directions de l’espace), et, sous
ce rapport encore, l’attribution de son symbole au Verbe ne se justifie pas
moins bien : c’est en somme, à cet égard, comme une sorte de traduction
graphique de l’omnia per ipsum facta sunt
de l’Évangile de saint Jean. »
Ce n'est pas là le seul passage de son œuvre où Guénon
associe ainsi ces symboles entre eux (cf par exemple ce
compte rendu ou Le chrisme et le cœur dans les anciennes marques
corporatives) ; en divers endroit, il rapproche le
Christ et le chrisme du « sceau de Salomon » et de la fleur de
lys ; outre qu'il est ici fait allusion à la cathédrale du sacre des rois de France et à l'étendard de Clovis, il est
inutile de dire que non seulement la fleur de lys est un emblème de la France,
mais que cette dernière a précisément la forme d'un « sceau de
Salomon », qu'on appelle aussi quelquefois « bouclier de
David », « bouclier de Michaël » (désignation dont Guénon indique qu’elle pourrait « donner lieu à des considérations
très intéressantes »), ou encore « Étoile
des Mages »[18]. Nous connaissons déjà les rapports des
« Rois Mages » avec le centre suprême, et ceux de Michaël avec le
Christ ; quant à David et Salomon, ils étaient bien entendu rois de Juda,
dont l'assimilation au royaume de France, comme celle des francs aux troyens[19],
était chose courante au moyen âge ; qu'on lise par exemple le Recueil des décrétales du pape Grégoire
IX, rédigé en 1234 par saint Raymond de Peñafort :
« La tribu de Juda était la figure anticipée du royaume de France... et de
même qu'autrefois la tribu de Juda reçut en héritage une bénédiction très
spéciale parmi les autres fils du patriarche Jacob[20],
ainsi la France reçut, de Dieu lui-même, des prérogatives
extraordinaires... » En
effet, si la France est « fille aînée de l'église », Rome n'en est vraisemblablement
que la fille cadette ; saint Pierre peut bien être le chef de l'Église extérieure, saint Jean n'en demeure pas moins à l'intérieur, au centre, sur le cœur du Christ (cf. Saint Jean, 13:23), et c'est à lui que fut confiée Marie, sa Mère (cf. Saint Jean, 19:26), dont nous rappelions au début le rapport avec la Shekina, "présence réelle de la divinité", "manifestation divine en ce monde, ou, en quelque sorte, Dieu habitant parmi les hommes" ; du reste, ne devrait-il pas être évident à ceux qui
ont compris ce qu'était Guénon que ses livres n'ont pas été rédigés en français
sans raison[21] ?
Cela dit, de tout ce que nous venons de rappeler, il a
été fait de grossières caricatures, stigmatisées par Guénon en maints endroits,
notamment à propos des pseudo-prophéties dont la partie relativement valable, dit-il, « semble se
rapporter surtout au rôle du Mahdi et à celui du dixième Avatâra, [choses] qui concernent directement la préparation du
« redressement » final », et dont la déformation « se prête
à une exploitation « à rebours » dans le sens de la subversion » ;
ces prédictions, en effet, outre qu’elles servent à augmenter le désordre de
notre époque « en
semant un peu partout le trouble et le désarroi » ("On ne saurait croire [...] combien de gens ont été déséquilibrés gravement, et parfois irrémédiablement, par les nombreuses prédictions où il est question du « Grand Pape » et du « Grand Monarque »"),
peuvent aussi être en même temps « un moyen de suggestion directe contribuant
à déterminer effectivement la production de certains événements futurs »[22] :
« Un fait particulièrement remarquable […] c’est
la place considérable que tient là-dedans la hantise du « Grand
Monarque », dont nous avons pu constater, en de multiples occurrences, la
connexion constante avec toute sorte d’autres choses d’un caractère plutôt
fâcheux. Puisque l’occasion s’en présente, nous dirons que, à la vérité, nous
ne pensons pas qu’il ne s’agisse que d’une « invention » pure et
simple ; il y a là, bien plutôt, quelque chose qui se rapporte
effectivement à certains événements devant se produire vers la fin de la
période cyclique actuelle, mais qui a été entièrement déformé par une
« perspective » spécifiquement occidentale, et parfois même beaucoup
plus étroitement « locale » encore, puisque la plupart des
« voyants » et de leurs interprètes tiennent absolument à faire de ce
« Grand Monarque » un roi de France, ce qui revient, en somme, à ne
lui assigner dans l’histoire future qu’un rôle bien restreint et purement
« épisodique » ; les prophéties authentiques visent des
événements d’une tout autre ampleur… Le volume se termine par un appendice
assez curieux : c’est une sorte de « recensement », si l’on peut
dire, de tous les « prétendants » possibles au trône de France, et
leur nombre est vraiment une chose incroyable ; on a d’ailleurs
l’impression que certaines de ces généalogies royales ont dû être
« brouillées » intentionnellement, tout comme le fut en dernier lieu
l’affaire de la « survivance » de Louis XVII, qui, elle aussi, se
trouve, ainsi que nous le faisions remarquer dernièrement encore,
invariablement associée aux plus troubles énigmes du monde contemporain ;
il faudrait assurément bien de la naïveté pour ne voir, dans certains
enchaînements de faits, rien de plus que de simples « coïncidences » ! »
(compte rendu d'un livre de Jean
Fervan intitulé La Fin des Temps, Recueil
des principales prophéties sacrées et prédictions sur notre époque et les
« derniers temps », suivi d'une enquête sur « le prochain roi de
France »)
Voici encore un passage du chapitre XI de L'erreur spirite, où il est question d'une école spirite « d'un caractère assez spécial » dont la publication compta parmi ses collaborateurs « plus d'un personnage suspect » (notamment probablement l'abbé
Boullan) : « Dans une « communication », saint Louis nous
apprend qu’il fut le roi David réincarné, et que Jeanne d’Arc fut Thamar, fille
de David ; et Hab [la « voyante »] ajoute cette note : « Un rapprochement
significatif : David a été la souche d’une famille prédestinée, et il fut
celle de nos derniers rois. Saint Louis a présidé aux premiers enseignements
spirites et s’est fait, au nom de Dieu, Père du Christianisme régénéré, par sa
protection spéciale sur Allan Kardec. » De tels rapprochements sont
surtout « significatifs » quant à la mentalité de ceux qui les font,
mais ils ont un sens assez clair pour qui connaît les dessous politico-religieux
de certains milieux : on s’y préoccupait beaucoup de la question de la
« survivance » de Louis XVII ; d’autre part, on y annonçait,
comme plus ou moins imminente, une seconde venue du Christ ; voulait-on
donc insinuer que celui-ci se réincarnerait dans la nouvelle « race de
David », et que peut-être il serait le « Grand Monarque »
annoncé par la « prophétie d’Orval » et quelques autres prédictions
plus ou moins authentiques ? Nous ne voulons pas dire, d’ailleurs, que ces
prédictions soient, en elles-mêmes, totalement dénuées de valeur ; mais,
comme elles sont formulées en termes peu compréhensibles, chacun les interprète
à sa façon, et il y a des choses bien étranges dans le parti que certains
prétendent en tirer. Plus tard, Mme Grange fut « guidée »
par un « esprit » soi-disant égyptien, qui se présentait sous le nom
composite de Salem-Hermès, et qui lui
dicta tout un volume de « révélations » ; mais cela est beaucoup
moins intéressant que les manifestations qui ont un lien plus ou moins direct
avec l’affaire de Louis XVII, et dont la liste, commençant dès les premières
années du XIXe siècle, serait fort longue, mais aussi fort
instructive pour ceux qui ont la curiosité bien légitime de rechercher les
réalités dissimulées sous certaines fantasmagories. »
Contrairement à ce que certains pourraient penser, ces
citations n'infirment nullement ce que nous disions plus haut du rôle
eschatologique de la France, bien au contraire. En effet, comme l'a écrit
Guénon, « la « géographie sacrée » [...] est, comme toute autre
science traditionnelle d’ordre contingent, susceptible d’être détournée de son
usage légitime et appliquée « à rebours » : si un point est
« privilégié » pour servir à l’émission et à la direction des
influences psychiques quand celles-ci sont le véhicule d’une action
spirituelle, il ne le sera pas moins quand ces mêmes influences psychiques
seront utilisées d’une tout autre manière et pour des fins contraires à toute
spiritualité […] on peut rappeler à cet égard l’adage ancien : « corruptio optimi pessima »» (Le règne de la quantité et les signes des
temps, ch.XXVII). Si l'on joint à ceci
le rapport inverse du « règne de l'Antéchrist » et du véritable
« règne du Christ », et si l'on se souvient de la figure du Christ
entrant à Jérusalem monté sur un âne, on peut facilement en déduire qu'il y a
des chances pour que les « points stratégiques » de l'un et de
l'autre se correspondent ou même se situent aux mêmes lieux ; et ceci ne
pourrait-il pas avoir quelque rapport avec ce qui est dit dans l'évangile de
« l' abomination de la désolation » établie dans le lieu
saint ? [23]
Nous n'insisterons pas sur cette question ; du
reste, il est évident que c'est sur l'Occident que ce sont portés les plus
grands efforts de la contre-initiation depuis le début du monde moderne, qui y a pris naissance avant de se répandre partout, et
l'on aura qu'à se rappeler à cet égard les « centres de projection des
influences sataniques à travers le monde » dont a parlé Guénon dans un compte rendu, ces « sept tours
du diable » qui semblent « disposées suivant une sorte d'arc de
cercle entourant l'Europe à une certaine distance » (lettre du 25 mars
1937).
***
Maintenant, peut-on être plus précis encore grâce à
Guénon, et identifier une région, voire même une ville française qui soit
destinée à servir de « réceptacle » au centre suprême ? Peut-être. Tout d'abord, qu'on se réfère à l'article sur Les « têtes noires » : Guénon y enseigne que les peuples qui se qualifièrent ainsi ou d’une
manière similaire, tels que les Ethiopiens (Aithi-ôps, "visages brulés"), les Chinois (li-min, "peuple noir" ou kien-cheou, "têtes noires"), les Chaldéens ou encore les Égyptiens (qui donnaient à leur pays le nom de "terre noire"), sont ceux « qui se considéraient comme occupant une situation « centrale » ; on connaît notamment, à cet égard, la désignation de la Chine comme le « Royaume du Milieu » (Tchoung-kouo), ainsi que le fait que l’Égypte était assimilée par ses habitants au « Cœur du Monde ». Cette situation « centrale » est d’ailleurs parfaitement justifiée au point de vue symbolique, car chacune des contrées auxquelles elle était attribuée était effectivement le siège du centre spirituel d’une tradition, émanation et image du centre spirituel suprême, et le représentant pour ceux qui appartenaient à la tradition envisagée, de sorte qu’elle était bien véritablement pour eux le « Centre du Monde[24] ». Or, le centre est, en raison de son caractère principiel, ce qu’on pourrait appeler le « lieu » de la non-manifestation ; comme tel, la couleur noire, entendue dans son sens supérieur, lui convient donc réellement ».
Tout cela est certes intéressant, mais si nous rapprochons ces « têtes noires » des « vierges noires », comme cela a d'ailleurs déjà été fait (dans un article il est vrai fantaisiste, mais dont Guénon a fait un compte rendu où il y a précisément une allusion aux "visages noirs"), alors les choses prennent un aspect assez inattendu.
Tout cela est certes intéressant, mais si nous rapprochons ces « têtes noires » des « vierges noires », comme cela a d'ailleurs déjà été fait (dans un article il est vrai fantaisiste, mais dont Guénon a fait un compte rendu où il y a précisément une allusion aux "visages noirs"), alors les choses prennent un aspect assez inattendu.
Certes, comme l'a écrit Guénon, la couleur noire de
ces vierges symbolise l'indistinction de la materia
prima ; mais cette signification n'explique nullement la raison de
leur apparition à telle époque et en tel lieu. Or, c'est en France que l'on
trouve le plus de vierges noires, et de très loin ; en outre, en France
même, elles sont principalement concentrées dans la région montagneuse du
centre[25],
où il en est une, notamment, qui nous intéresse particulièrement : celle
du Puy en Velay (ville dont Jean Reyor écrit, dans un article publié en 1929
dans Le Voile d’Isis[26],
qu’elle fut sans doute au XVe siècle le sanctuaire et le
« Palladium » de la royauté française). Offerte selon une légende par
saint Louis en 1254 au retour de la septième croisade, elle aurait été
auparavant donnée au roi par le sultan de Jérusalem, et la tradition voulait
encore qu’elle eût été sculptée par le prophète Jérémie lorsqu’il s’était
retiré en Égypte. Jérémie, rappelons-nous, est aussi le nom du fleuve qui sort de l'Eden, et les allusions qui sont faites ici au "centre du monde", de Jérusalem à l'Égypte en passant par saint Louis, se passent nous semble-t-il de commentaire. Lorsque la Vierge noire fut brûlée (avec d'autres objets) à la Révolution, on découvrit dans les cendres une
pierre ovale de jaspe sanguin, couverte de « hiéroglyphes et de figures
égyptiennes », pierre "isiaque" selon les "experts" (ce qui est bien entendu à rapprocher de ce que nous avons dit
déjà sur les objets symboliques, supports d’influences spirituelles ; et peut-être pourrait-on même rappeler ici l'acrostiche bien connu : Vitriolum) ; pour remplacer cette Vierge noire, on fit choix d’une autre, déjà vénérée dans
l’église saint Maurice.
Ceci dit, dans la cathédrale du Puy, dont la façade à
trois niveaux (un "souterrain", un autre "céleste") figure manifestement les « trois mondes », on trouve un
autre objet sacré de couleur noire : la Pierre des Fièvres, ancienne table
d’un dolmen, désignée par la Vierge elle-même comme miraculeuse ; et nous rappellerons, à cet égard, le neuvième chapitre du Roi du Monde : "L'omphalos" et les "bétyles". D'ailleurs, il est dit que l'évêque Vosy, au moment de poser la première pierre du sanctuaire demandé par la Vierge, prononça les paroles même de Jacob à Béthel (Beith-El, "maison de Dieu") avant qu'il ne consacre la pierre sacrée, paroles dont il est justement question dans ce chapitre du Roi du Monde : « Quam terribilis est locus iste (Que ce lieu est redoutable) ! C’est ici la maison de Dieu et la porte des Cieux ». En outre, il est une légende chargée de sens selon laquelle les ouvriers qui édifiaient le premier sanctuaire à la Vierge se plaignirent que les salaires trop bas ne leur permettaient pas d’acheter du pain ; le maître d’œuvre s’adressa alors à Marie, qui changea les pierres en tourtes, faisant ainsi du Puy une nouvelle Bethléem, la "maison du pain" (cf. encore le même chapitre du Roi du Monde).
D'autre part, il est à noter que "puy" est un mot occitan qui signifie "éminence" ou "petite montagne". Or, le nom de la ville, après avoir été Anicium (du nom du mont Anis), devint au moyen-âge le "Puy-Sainte-Marie", c'est à dire la "Montagne-Sainte-Marie" ; et ceci est vraisemblablement à rapprocher des noms de Parvâti et de Cybèle, qui toutes deux sont la "déesse de la montagne", comme l'écrit Guénon dans Pierre noire et pierre cubique. Si donc l'on se rappelle, d'une part, que la Vierge noire est vêtue d'un manteau conique, et d'autre part, que la forme horizontale de la "Pierre des Fièvres" évoque la "passivité" ou plutôt la "réceptivité" universelle, peut-être est-il permis de penser que le sombre mont Anis, la Vierge et la table de dolmen noires sont tous trois comme diverses "hypostases" d'un même Principe. Est-il besoin de rappeler ici ce que nous avons dit déjà sur la Shekina et ses rapports avec la Vierge et la Terre sacrée ?
C'est la Pierre celtique qui fut à l’origine des pèlerinages au Puy-Notre-Dame, l’un des plus fréquentés de toute la chrétienté ; de nos jours encore, une grande foule s'y presse tous les ans pour la fête de l'Assomption, et aussi, et surtout, pour les années jubilaires, quand le Vendredi saint coïncide avec l'Annonciation (c'est à dire, symboliquement, quand la fin du cycle rejoint son commencement). Inutile de rappeler l’importance, soulignée par Guénon, des lieux de pèlerinages en tant que centres spirituels, et nous ajouterons encore en passant que le Puy, avec sa symbolique "cour de l'Épervier", était fort fréquenté des troubadours (que Guénon a rattaché aux Fidèles d'Amour).
D'autre part, il est à noter que "puy" est un mot occitan qui signifie "éminence" ou "petite montagne". Or, le nom de la ville, après avoir été Anicium (du nom du mont Anis), devint au moyen-âge le "Puy-Sainte-Marie", c'est à dire la "Montagne-Sainte-Marie" ; et ceci est vraisemblablement à rapprocher des noms de Parvâti et de Cybèle, qui toutes deux sont la "déesse de la montagne", comme l'écrit Guénon dans Pierre noire et pierre cubique. Si donc l'on se rappelle, d'une part, que la Vierge noire est vêtue d'un manteau conique, et d'autre part, que la forme horizontale de la "Pierre des Fièvres" évoque la "passivité" ou plutôt la "réceptivité" universelle, peut-être est-il permis de penser que le sombre mont Anis, la Vierge et la table de dolmen noires sont tous trois comme diverses "hypostases" d'un même Principe. Est-il besoin de rappeler ici ce que nous avons dit déjà sur la Shekina et ses rapports avec la Vierge et la Terre sacrée ?
C'est la Pierre celtique qui fut à l’origine des pèlerinages au Puy-Notre-Dame, l’un des plus fréquentés de toute la chrétienté ; de nos jours encore, une grande foule s'y presse tous les ans pour la fête de l'Assomption, et aussi, et surtout, pour les années jubilaires, quand le Vendredi saint coïncide avec l'Annonciation (c'est à dire, symboliquement, quand la fin du cycle rejoint son commencement). Inutile de rappeler l’importance, soulignée par Guénon, des lieux de pèlerinages en tant que centres spirituels, et nous ajouterons encore en passant que le Puy, avec sa symbolique "cour de l'Épervier", était fort fréquenté des troubadours (que Guénon a rattaché aux Fidèles d'Amour).
Cela dit, il y a au Puy quelque chose qui est peut-être encore plus digne de remarque que tout ce que nous venons de dire, et qui devrait fort intriguer ceux qui ont lu le quatrième des douze chapitres du Roi du Monde. Dans ce livre, Guénon enseigne que les centres spirituels, aussi bien que les hiérarchies spirituelles, sont comme des images, par leurs structures symboliques, des principes informels de l’Existence ; et dans le chapitre en question, intitulé « les trois fonctions suprêmes », il explique qu’au sommet de la hiérarchie de notre monde, conformément à la structure même de l’Univers, il y a trois fonctions cosmologiques fondamentales (auxquelles nous avons déjà fait allusion à propos du Christ comme prophète, prêtre et roi) ; puis, il termine par la description de la structure duodénaire de certains centres spirituels. Nous disons bien duodénaire, et non pas ternaire, ce qui pourrait paraitre étonnant, vu le titre même de ce chapitre ; d’autant plus que, dans La Terre du Soleil, il est parlé des « trois points du triangle » en relation avec le symbolisme du centre spirituel primordial, sans parler de l’article sur les pyramides du Caire, ou encore de divers autres sur le symbolisme maçonnique ; d’ailleurs, vu ce que nous avons dit plus haut de la Maçonnerie et de sa relation avec le « règne du saint Empire », ce n’est peut-être pas sans raison que, dans ces articles, il y ait tant d’allusions à différents ternaires à propos de la constitution des centres spirituels[27].
Maintenant, au Puy, il y a
trois sommets « sacrés » qui correspondent exactement aux trois
fonctions suprêmes : au pouvoir temporel correspond le rocher Saint Joseph
d’Espaly, où s’élevait autrefois un château fort qui accueillit plusieurs rois de France ; à l’autorité spirituelle correspond le rocher Corneille[28],
avec l’ évêché et la cathédrale ; enfin, au principe commun de l’un et de
l’autre correspond le pic de Saint Michel d’Aiguilhe, dont la chapelle est
dédiée à l’archange solaire, que Guénon a expressément identifié à ce principe
même[29]. Ainsi, le site du Puy est semblable à celui où, selon
les rituels de la Maçonnerie adonhiramite (cités
par Guénon dans un article où il est question
d’héritage des Templiers, de Jérusalem, de son temple et de ses constructeurs),
fut tenue la première loge : « vallée profonde où règnent la paix, les
vertus (ou la vérité) et l'union, vallée qui était comprise entre les trois montagnes
Moriah, Sinaï et Heredon (sic) ».
En outre, lorsque, du rocher d'Aiguilhe ou de celui d'Espaly,
l'on regarde la vallée qui s'étend à ses pieds, on ne peut manquer d'être
frappé par l'imposante église St Laurent (où se trouve un tombeau de Du
Guesclin), et de se rappeler les rites dans lesquels, d'après
Guénon, une « présence spirituelle »
« se manifeste en quelque sorte à l'intersection des « lignes de
force » allant de l'un à l'autre de ceux qui y participent, comme si sa
« descente » était appelée directement par la résultante collective
qui se produit en ce point déterminé et qui lui fournit un support
approprié » ; d'autant plus que, dans certaines formes initiatiques,
ajoute-t-il, un minimum de trois participants est requis pour l'efficacité d'un
tel rite.
Comment s’étonner, après tout cela, des signes gravés
dans l’encadrement des grandes « portes de cèdre » de la
cathédrale ? Sur l’une d’elle, une inscription arabe : « le
Royaume (à) Allah », ou « la Royauté (à) Allah »[30] ;
sur l’autre, dans un style tout différent, ce qui est pour le moins curieux,
une sorte de « sceau de Salomon » modifié de façon à ce que la ligne reste continue[31] ; ne voit-on pas que ces deux encadrements expriment la
même chose, et que le « sceau de Salomon », outre ce que nous en avons
déjà dit, est comme une forme graphique de la formule du Pater : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme
au ciel » ?
Sur un écriteau de la basilique du Puy, on pouvait
autrefois lire ce sixtain :
Parmi le sol velaunois
Brillent ainsi qu’en l’Indois
À foison les pierreries
Ès monts, ès champs et
prairies
Dont l’éclatante lueur
Fait preuve de leur
valeur.
Et le jurisconsulte Jean Barbier d’Yssingeaux, de son
côté, écrivait de ce pays de volcans qu'il était « semblable à la Syrie et au pays jadis donné aux Israélites » : l'Inde, la Syrie, la Terre promise, et qui plus est, des montagnes et des cavernes... Qui sait ce que tout cela peut vouloir dire ? Le 23 janvier 1936, on demandait à Ramana Maharshi (dont l'éminence a été indiquée par Guénon dans ses comptes rendus) si la sainte montagne Arunachala était creuse : "Les Purana l'affirment", répondit-il : "Il est dit du Cœur qu'il est une cavité ; et celui qui y pénètre réalise qu'il s'agit d'une expansion de lumière. De même, cette Montagne est Lumière ; ses cavernes, etc., sont recouvertes par la Lumière." "Il y a des cavernes à l'intérieur ?" "Dans des visions, j'ai vu des cavernes, des villes avec leurs rues, etc., et tout un monde en elle." "S'y trouve-t-il aussi des Siddha ?" "Tous les Siddha sont tenus pour y être." "Seulement des Siddha, ou d'autres aussi ?" "C'est comme dans ce monde".
[1] Il est
d’ailleurs déclaré très explicitement, dans l’Évangile même, que ce dont il
s’agit n’est point la paix au sens où l’entend le monde profane (St Jean, XIV, 27).
[3] Ibid., t. I, pp. 506-507
[4] Sur le Rosicrucianisme, cf. surtout le ch.XXXVIII des Aperçus sur l'initiation (Rose-Croix et Rosicruciens), et aussi le ch.IV de l'Ésotérisme de Dante (Dante et le Rosicrucianisme), dont nous extrairons les lignes suivantes : "Cette doctrine ésotérique, quelle que soit la désignation particulière qu’on voudra lui donner jusqu’à l’apparition du Rosicrucianisme proprement dit (si toutefois on trouve nécessaire de lui en donner une), présentait des caractères qui permettent de la faire rentrer dans ce qu’on appelle assez généralement l’hermétisme. L’histoire de cette tradition hermétique est intimement liée à celle des Ordres de chevalerie ; et, à l’époque dont nous nous occupons, elle était conservée par des organisations initiatiques comme celle de la Fede Santa et des Fidèles d’Amour, et aussi cette Massenie du Saint Graal dont l’historien Henri Martin parle [...] précisément à propos des romans de chevalerie, qui sont encore une des grandes manifestations littéraires de l’ésotérisme au moyen âge [...]" D'autre part, il n'est peut-être pas inutile de rappeler que les organisations du XVIIe siècle qui se firent connaitre sous le titre de Rose-Croix étaient déjà "plus ou moins déviées, ou en tout cas fort éloignées de la source originelle. À plus forte raison en fut-il ainsi pour les organisations qui se constituèrent plus tard encore sous le même vocable, et dont la plupart n’auraient sans doute pu se réclamer, à l’égard des Rose-Croix, d’aucune filiation authentique et régulière, si indirecte fût-elle [Il en fut vraisemblablement ainsi, au XVIIIe siècle, pour des organisations telles que celle qui fut connue sous le nom de « Rose-Croix d’Or »] ; et nous ne parlons pas, bien entendu, des multiples formations pseudo-initiatiques contemporaines qui n’ont de rosicrucien que le nom usurpé, ne possédant aucune trace d’une doctrine traditionnelle quelconque, et ayant simplement adopté, par une initiative tout individuelle de leurs fondateurs, un symbole que chacun interprète suivant sa propre fantaisie, faute d’en connaitre le véritable sens, qui échappe tout aussi complètement à ces prétendus Rosicruciens qu’au premier profane venu." "[...] les occultistes de toute école n’ont absolument aucun droit à se réclamer du Rosicrucianisme, non plus que de tout ce qui présente, à quelque égard que ce soit, un caractère vraiment traditionnel, ésotérique ou initiatique." Cf. encore le ch.III du Théosophisme (La société théosophique et le Rosicrucianisme), ou encore, par exemple, les comptes rendus de The Rosicrucian Fraternity in America, Vol.1 et Vol.2.
[5] "[...] il faut remarquer en outre que le « Saint-Empire » a une signification symbolique, et qu’aujourd’hui encore, dans la Maçonnerie écossaise, les membres des Suprêmes Conseils sont qualifiés de dignitaires du Saint-Empire, tandis que le titre de « Prince » entre dans les dénominations d’un assez grand nombre de grades. De plus, les chefs de différentes organisations d’origine rosicrucienne, à partir du XVIe siècle, ont porté le titre d’Imperator ; il y a des raisons de penser que la Fede Santa, au temps de Dante, présentait certaines analogies avec ce que fut plus tard la « Fraternité de la Rose-Croix », si même celle-ci n’est pas plus ou moins directement dérivée de celle-là." À propos de Maçonnerie et d'hermétisme, nous citerons aussi Parole perdue et mots substitués par souci d'exactitude : "[...] quelles que soient les affinités qui existent entre [la Maçonnerie proprement dite et l'hermétisme chrétien], il n’est cependant pas possible de les considérer comme identiques, car, même lorsqu’ils font jusqu’à un certain point usage des mêmes symboles, ils n’en procèdent pas moins de « techniques » initiatiques notablement différentes à bien des égards."
[6] « On devra bien remarquer,
d’ailleurs, que, s’il y a dans l’Évangile des paroles et des faits qui
permettent d’attribuer directement les clefs et la barque [attributs de Janus]
à saint Pierre, c’est que la Papauté, dès son origine, était prédestinée à être
« romaine », en raison de la situation de Rome comme capitale de
l’Occident. » (Autorité spirituelle
et pouvoir temporel, ch.VIII)
[7] On pourrait
avoir un échantillon de ce genre d’incompréhension en lisant les histoires
répandues autour du site de Rennes le Château ; sauf que dans ce cas, ce
n’est plus « d’influences spirituelles » qu’il s’agit, mais bien plus
vraisemblablement d’un centre de forces psychiques maléfiques.- Dans un ordre d’idée connexe, citons ces lignes de l’Erreur spirite : « En dehors
du spiritisme, il y eut aussi une société secrète anglo-américaine qui enseigna
l’identité de saint Paul et d’Apollonius, en prétendant que la preuve s’en
trouvait « dans un petit manuscrit qui est maintenant conservé dans un
monastère du Midi de la France » ; il y a bien des raisons de penser
que cette source est purement imaginaire, mais la concordance de cette histoire
avec les « communications » spirites dont il vient d’être question
rend l’origine de celles-ci extrêmement suspecte, car elle permet de penser
qu’il y eut là autre chose qu’un produit de la « subconscience » de
deux ou trois déséquilibrés. » [Note : « La société secrète dont
il s’agit se désignait, de façon plutôt énigmatique, par la dénomination
d’« Ordre S. S. S. et Fraternité Z. Z. R. R. Z. Z. » ; elle fut
en hostilité déclarée avec la H. B. of L. »] Et autre part, Guénon écrit
qu’Aleister Crowley, outre l’O.T.O.,
« dû aussi recueillir antérieurement l’héritage de l’Ordre S.S.S.
et de la Fraternité Z.Z.R.R.Z.Z., dont la R.I.S.S. paraît ignorer
l’existence [ou fait semblant d'ignorer l'existence...] ».
[10] Guénon, dans
« Lapsit
exilis », met le nom de Joseph d’Arimathie en rapport avec celui du
prophète Joseph, qui possédait la « coupe oraculaire » en
Égypte ; et il est curieux, si l’on identifie le Graal au Christ, de noter
que celui-ci eut encore un « gardien », si l’on peut dire, en saint
Joseph.
[11] « Il y
a […], en ce qui concerne la transmission du pouvoir royal, quelques cas
exceptionnels où, pour des raisons spéciales, il est conféré directement par
des représentants du pouvoir suprême, source des deux autres : c’est ainsi
que les rois Saül et David furent consacrés, non par le Grand-Prêtre, mais par
le prophète Samuel. On pourra rapprocher ceci de ce que nous avons dit ailleurs
(Le Roi du Monde, ch. IV) sur le triple caractère du Christ comme
prophète, prêtre et roi, en rapport avec les fonctions respectives des trois
Rois-Mages, correspondant elles-mêmes à la division des « trois
mondes » […] : la fonction « prophétique », parce qu’elle
implique l’inspiration directe, correspond proprement au « monde
céleste ». (Autorité Spirituelle et Pouvoir
Temporel, ch.V)
[12] Le nom d’Arthur a un sens très remarquable, qui
se rattache au symbolisme « polaire » et que nous expliquerons
peut-être en une autre occasion. [Cf. Le
Sanglier et l’Ourse]
[13] Selon
Guénon, la phase de décadence proprement moderne commence au XIVe siècle, avec
la destruction de l’ordre du Temple ; en reprenant le symbolisme des
moitiés ascendante et descendante de l’année, on pourrait donc dire que la
phase ascendante correspond au moyen-âge, depuis la fin des invasions barbares
jusqu’au siècle de saint Louis, tandis que la phase descendante, dans laquelle
nous sommes présentement, commence avec le XIVème siècle ; et il est à
noter que, dans la chronologie Joachimite, dont nous avons déjà parlé, le
commencement de la période régie par l'Esprit-Saint coïncide avec le règne de
saint Louis. On peut encore noter que Philippe le Bel était le petit fils de saint Louis, comme Manassé, qui provoqua la colère de l'Éternel, était le fils d'Ézéchias, le meilleur roi de Juda (II Rois, 18-23) ; et peut-être peut-on rapprocher ceci de cette note de L'Archéomètre : "Le Kali-Youga [l'"âge sombre"] commence 36 ans après la mort de Krishna ; de même, 36 ans après la mort du Christ (ou plus exactement de Jésus, considéré comme manifestation terrestre du principe Christos, car la mort ne peut pas atteindre un principe, mais seulement l’individualité symbolique qui manifeste ce principe pour nous), c’est-à-dire en l’an 70, a lieu la destruction de Jérusalem par les Romains, commencement de la dispersion définitive des Juifs, qui correspond pour eux à l’ère du Kali-Youga. Il y a là un rapprochement à signaler, et sur lequel nous aurons d’ailleurs à revenir par la suite, lorsque nous étudierons la succession des manifestations de Vishnou et leurs rapports".- Citons encore une note de l'Erreur spirite, sans d'ailleurs prétendre en tirer aucune conclusion (et tout en rappelant que le VIe siècle avant l’ère chrétienne fut selon Guénon une "barrière" historique) : [selon une théorie de la H.B. of L.] des « incarnations messianiques volontaires » [...] se produiraient tous les six cents ans environ, c’est-à-dire à la fin de chacun des cycles que les Chaldéens appelaient Naros, mais sans que le même esprit s’incarne jamais ainsi plus d’une fois, et sans qu’il y ait consécutivement deux semblables incarnations dans une même race ; la discussion et l’interprétation de cette théorie sortiraient entièrement du cadre de la présente étude. »
[14] Citons cependant une lettre de Guénon à Vasile Lovinescu (10 novembre 1936) : "On parle toujours de 7 Pôles secondaires, bien que, naturellement, leur correspondance ait changé suivant les périodes. Le “Roy du Ciel” peut avoir été l’un d’eux, car il est bien entendu que les désignations qui conviennent en premier lieu au Pôle suprême peuvent s’appliquer aussi à ses représentants par rapport à telle ou telle forme traditionnelle."
[15] Il est un
épisode du règne de saint Louis fort significatif : la réception qu’il
fit, à Chypre (île dont Guénon a
souligné l’importance dans la géographie sacrée), d’une ambassade de deux
nestoriens (les nestoriens ayant été à cette époque, d’après
Guénon, une des « couvertures » de l’Agarttha) : ceux-ci se
disaient envoyés par le plus grand roi d’Orient, le « Noble Combattant du
Monde », « le Défenseur de la Légion des Douze », au plus grand
roi d’Occident : « Le souverain qui nous envoie », dirent-il,
« pense que c’est le Roi de France qui est le chef naturel de la chrétienté d’Occident ». – Si l'on se reporte à ce que nous avons dit d'Hénoch dans l'introduction de cette étude, on pourra comprendre, grâce à tout ceci, pourquoi certains établissent entre lui et saint Louis un rapport similaire à celui qui relie Élie à Guénon ; et pour finir, nous citerons encore ces lignes du Duc de Lévis Mirepoix : « Quelle que fût la simplicité
du roi, il inspirait d’ailleurs une telle crainte révérencielle que ses plus
familiers, ses proches – Joinville l’a bien noté – n’osaient s’asseoir trop
près de lui. »
[16] Cette opinion, si bizarre
qu’elle puisse paraître, a dû être admise assez anciennement, car, dans les
tapisseries du XVe siècle de la cathédrale de Reims, l’étendard de
Clovis porte trois crapauds. Il est d’ailleurs fort possible que,
primitivement, ce crapaud ait été en réalité une grenouille, animal, qui en
raison de ses métamorphoses, est un antique symbole de
« résurrection », et qui avait gardé cette signification dans le
christianisme des premiers siècles.
[17] Dans le
symbolisme extrême-oriental, six traits autrement disposés, sous la forme de
lignes parallèles, représentent pareillement le terme moyen de la « Grande
Triade », c’est-à-dire le Médiateur entre le ciel et la terre, l’«
Homme véritable » unissant en lui les deux natures céleste et
terrestre.
[18] Jean Reyor, dans le Voile d'Isis d'août-septembre 1929, a publié un curieux article intitulé Le Temple de Paris, dans lequel il est question du "sceau de Salomon" ; nous le reproduisons pour les raisons que nous avons déjà indiquées à propos de L'ordre du Temple et la question des deux Pontificats.
[19] Selon ce
que nous avons dit plus haut à propos de « la répartitions des influences
spirituelles en action dans notre monde », il ne faut évidemment pas voir
dans ce genre de « lignage » quelque chose de corporel. En ce qui
concerne la « migration » spirituelle des
« troyens », on peut peut-être y voir en quelque sorte une
transmission accompagnant la marche du cycle de l’Orient vers l’Occident ;
il en va de même de ce qui est dit du « trésor de Jérusalem », qui
des juifs passa aux romains, puis des romains aux « barbares », qui
l’emportèrent en Gaule. Il est à noter que, conformément à ce que nous verrons
par la suite à propos de la « géographie sacrée », ces
« migrations » peuvent aussi avoir un caractère
maléfique ; et peut-être les deux exemples que nous venons de mentionner
ne sont-ils pas sans rapport, à ce point de vue, avec l’association, rappelée
par Guénon, de l’emblème du scorpion à la fois aux juifs et aux romains,
qui pourraient représenter ici en quelque sorte la corruption des deux domaines
respectivement spirituel et temporel.
[20] Cf. Genèse 49:10 : « Le sceptre ne s'éloignera point de Juda, ni le
bâton souverain d'entre ses pieds, jusqu'à ce que vienne le Schilo » (c'est à dire paraît-il le
Messie).
[21] Dans la conclusion de l'Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues, Guénon écrit que "[les préjugés de l'Occident moderne] sont portés à leur plus haut degré chez les peuples germaniques et anglo-saxons, qui sont ainsi, mentalement plus encore que physiquement, les plus éloignés des Orientaux ; comme les Slaves n’ont qu’une intellectualité réduite en quelque sorte au minimum, et comme le Celtisme n’existe plus guère qu’à l’état de souvenir historique, il ne reste que les peuples dits latins, et qui le sont en effet par les langues qu’ils parlent et par les modalités spéciales de leur civilisation, sinon par leurs origines ethniques, chez lesquels la réalisation d’un plan comme celui que nous venons d’indiquer pourrait, avec quelques chances de succès, prendre son point de départ."- "[...] il se peut que le monde soit en réalité beaucoup plus « géométrique » qu’on ne le pense", écrit encore Guénon ; et dans À propos des pèlerinages, il a fait l'éloge de l'article de Grillot de Givry, "Les Foyers du mysticisme populaire", où il est montré que "l'Europe et l' Asie [...] sont deux masses terrestres géométriquement semblables, dont la première est le diminutif de la seconde" (les presqu'îles ibérique, italique avec la Sicile, balkanique et la Bretagne correspondant respectivement aux presqu'îles arabique, hindoustanique avec Ceylan, indo-chinoise et d'Anatolie). Tout ceci fait que nous nous demandons si la France ne serait pas en Europe comme au centre d'une sorte de croix de saint André.
[22] Guénon
ajoute : « croit-on, par exemple, et pour prendre ici un cas très
simple afin de nous faire mieux comprendre, que, en annonçant avec insistance
une révolution dans tel pays et à telle époque, on n’aidera pas réellement à la
faire éclater au moment voulu par ceux qui y ont intérêt ? » - On
peut ajouter que bon nombre de ces prédictions sont si obscures, qu’elles
semblent n’avoir été faites que dans le dessein de servir de support auxinterprétations tendancieuses (cf. le compte rendu qu'a fait Guénon d'un livre de Piobb sur certaines de ces prédictions). Il y a même de soi-disant « secrets »
qui demeurent « occultés » malgré les promesses de leurs
« dévoilements » ; ici, le champs des interprètes est donc en quelque sorte maximal, tant pour ce qui concerne le contenu du
« secret », que pour les raisons de son « non-dévoilement ».
[23] Si l’on se
souvient de la citation d’Henri Martin sur le Titurel de Wolfram d’Eschenbach, d’après laquelle une
« hypostase » du Graal aurait été gardée « en Gaule, aux confins de
l’Espagne », peut-être est-il alors permis de penser que les
considérations que nous exposons ici ne sont pas sans rapport avec ce que nous
indiquions précédemment au sujet de Rennes le Château, qui, de « porte des
cieux », serait devenu « porte des enfers » ; dans ce cas,
la « tour Magdala » ferait figure d’une de ces « tours du diable »
dont nous allons parler.
[24] Voir La Grande Triade, ch. XVI.
[24] Voir La Grande Triade, ch. XVI.
[25] « La
localisation du Centre qui a “missionné” Jeanne d’Arc est sans doute une
question difficile à éclaircir ; il n’est pas invraisemblable, en somme,
qu’il ait pu être en Dacie, et même cela paraîtrait plus plausible que l’idée
de certains qui ont voulu le situer dans la région montagneuse du centre de la France […] »
(lettre
du 5 janvier 1936 à Vasile Lovinescu)
[26] Il s’agit
de L’ordre du Temple et la question des deux Pontificats, auquel nous avons déjà renvoyé. – Jean Reyor semble
trouver fort significatif le pèlerinage au Puy que fit Elisabeth Romée, la mère
de Jeanne d‘Arc, au moment même où celle-ci se rendait à Chinon (cf. sa présentation, paru dans Le Voile d’Isis en mars 1930, des Foyers du mysticisme populaire de
Grillot de Givry). – Quant à Guénon, il n’a mentionné nulle part le Puy en
Velay, à notre connaissance du moins ; il y a seulement le
compte rendu d’un livre intitulé Les Loges maçonniques dans la
Haute-Loire, dont l'intérêt n'apparaît d'ailleurs peut-être pas très clairement.
[27] « Un point curieux à noter, c’est que les « maîtres d’œuvre » français paraissent avoir eu une part prépondérante dans la construction des grandes cathédrales des autres pays, d’où l’auteur croit pouvoir conclure que la Maçonnerie opérative a dû prendre naissance en France ; ce n’est assurément là qu’une hypothèse, mais il en trouve une confirmation dans la similitude que présentent l’organisation des Hütten allemandes et celle des Lodges anglaises et écossaises, alors qu’il est peu vraisemblable qu’elles aient eu des rapports directs entre elles. Il y a peut-être là quelque exagération due à une perspective trop exclusivement « nationale », mais il n’en est pas moins vrai que l’exposé « légendaire » contenu dans certains manuscrits anglais des Old Charges semblerait suggérer lui-même quelque chose de ce genre, tout en le reportant d’ailleurs à une époque notablement antérieure à celle des cathédrales « gothiques » ; nous ajouterons seulement que, si on admet que c’est de France que la Maçonnerie opérative fut importée en Angleterre et en Allemagne, cela ne préjuge pourtant rien quant à son origine même, puisque, d’après les mêmes « légendes », elle serait d’abord venue d’Orient en France, où elle aurait été apparemment introduite par des architectes byzantins. »
[27] « Un point curieux à noter, c’est que les « maîtres d’œuvre » français paraissent avoir eu une part prépondérante dans la construction des grandes cathédrales des autres pays, d’où l’auteur croit pouvoir conclure que la Maçonnerie opérative a dû prendre naissance en France ; ce n’est assurément là qu’une hypothèse, mais il en trouve une confirmation dans la similitude que présentent l’organisation des Hütten allemandes et celle des Lodges anglaises et écossaises, alors qu’il est peu vraisemblable qu’elles aient eu des rapports directs entre elles. Il y a peut-être là quelque exagération due à une perspective trop exclusivement « nationale », mais il n’en est pas moins vrai que l’exposé « légendaire » contenu dans certains manuscrits anglais des Old Charges semblerait suggérer lui-même quelque chose de ce genre, tout en le reportant d’ailleurs à une époque notablement antérieure à celle des cathédrales « gothiques » ; nous ajouterons seulement que, si on admet que c’est de France que la Maçonnerie opérative fut importée en Angleterre et en Allemagne, cela ne préjuge pourtant rien quant à son origine même, puisque, d’après les mêmes « légendes », elle serait d’abord venue d’Orient en France, où elle aurait été apparemment introduite par des architectes byzantins. »
[28] Ce nom
(comme peut-être celui d’Aiguilhe) est à rapprocher des considérations
développées par Guénon dans Le symbolisme des cornes ; et
ce qui est curieux, c’est qu’il y eut au Puy une Confrérie des Cornards,
bien connue des Ponots pour son caractère
« dionysiaque » ; faut-il rapprocher ceci des propos
de Guénon sur Dionysos, dans le même article ? Celui-ci vaut
d’ailleurs la peine que nous nous y arrêtions : signalons, à propos de ce
qui y est dit d’Apollon comme « protecteur des sources », le puits à l’eau
miraculeuse qui se trouve derrière le chevet de la cathédrale du Puy ; mais
surtout, nous ferons remarquer qu’à côté de Dionysos, il y est encore question
de Moïse et d’Alexandre le Grand, qui semblent avoir tous deux un rapport avec
le « Seigneur de la Terre », le « Grand Prophète », le Mahdi, dont nous avons déjà parlé. Pour
ce qui est d’Alexandre, ce rapport ressort des légendes orientales dans lesquelles il
est guidé par El-Khidr vers la
Fontaine d’immortalité, la Rivière de Vie qui coule dans la Terre des Ténèbres
à l’extrême Occident : il y est en effet accompagné d’Élie et de son
cuisinier Andreas, déformation d’Idris
(le nom d’Hénoch dans la tradition islamique) ; et, à propos de la
dénomination « Alexandre aux deux cornes », faut-il voir l’indication
donnée par Guénon sur la signification du mot qarn, signifiant « corne », mais aussi « âge »
ou « cycle », comme une allusion au rôle de Noé ou de ses
équivalents, à la fin d’un cycle et au début du suivant (« cette
double signification », écrit-il, « entraîne parfois une curieuse
méprise, certains croyant que l’épithète dhûl-qarnein appliquée à
Alexandre veut dire que celui-ci aurait vécu deux siècles ») ?
[29] L'union de l'autorité spirituelle et du pouvoir temporel est expressément représentée par la crosse et l'épée du blason des évêques du Puy, dont l'un des plus fameux, outre Guy Fulcodi (troubadour, conseiller de saint Louis, archevêque de Narbonne puis pape), fut Adhémar de Monteil, chef spirituel de la première croisade et auteur, dit-on, du Salve Regina, "l'antienne du Puy". En outre, une intervention du pouvoir suprême semble indiquée par un épisode de la "légende" : une fois l'église demandée par la Vierge achevée (église dont le contour avait été tracé par un cerf sur de la neige tombée là en plein mois de juillet), l'évêque du Puy, accompagné du patricien Scutaire, se dirige vers Rome, aucune église ne pouvant alors être consacrée sans permission particulière du Saint-Siège. Seulement, à peine avaient-ils fait une heure de chemin, qu'au lieu-dit "les trois pierres", deux vieillards habillés de blanc leur intiment de retourner d'où ils viennent, les chargent de reliques et disparaissent sur ces mots: "nous vous précédons et vaquerons à tout". L'évêque et son compagnon s'en retournent donc, et, à l'approche du temple sacré qu'on appellera désormais "Chambre angélique", ils trouvent la cathédrale baignée de lumière, ses cloches mues par une force invisible, et les anges ayant déjà célébré le rite de la consécration.
[30] Cf. Sur l'inscription arabe de la cathédrale du
Puy, article d’après lequel
il s’agirait des lettres alif,
lam, mim, lam, kaf, lam, lam, ha - Notons que Guénon a
souligné l’importance de l’influence islamique en Occident au moyen âge, et
notamment
celle d’Ibn ‘Arabî, appelé Esh-Sheikh el-akbar dans l’ésotérisme islamique, « c’est-à-dire
le plus grand des Maîtres spirituels, le Maître par excellence », dont
il cite, dans Le règne de la quantité
et les signes des temps, ces vers célèbres, qui se réfèrent manifestement à
la source commune de toutes les traditions : « Mon cœur est devenu
capable de toute forme : il est un pâturage pour les gazelles et un
couvent pour les moines chrétiens, et un temple pour les idoles, et la Kaabah
du pèlerin, et la table de la Thorah et le livre du Qorân. Je
suis la religion de l’Amour, quelque route que prennent ses chameaux ; ma
religion et ma foi sont la vraie religion ».- À propos des relations entre chrétiens et musulmans au moyen âge, nous pouvons encore mentionner la "légende" selon laquelle le sarrasin Mirat, assiégé par le futur Charlemagne dans le château de Mirambel (qui devint plus tard Lourdes), n'accepta de se rendre qu'à Notre Dame du Puy (qui devint d'ailleurs plus tard suzeraine de la totalité du comté de Bigorre, celui-ci lui ayant été donné par le comte Bernard Ier, qui s'était reconnu son vassal ; et pour certains, c'est l'aigle aux ailes à-demi éployées des armes du Puy qui se rendit à Lourdes, dont les armes portent un aigle aux ailes largement éployées).
[31] "[...] il est arrivé souvent que les obscurités et même les contradictions soient parfaitement voulues, et que les détails inutiles aient expressément pour but d’égarer l’attention des profanes, de la même façon qu’un symbole peut être dissimulé intentionnellement dans un motif d’ornementation plus ou moins compliqué ; au moyen âge surtout, les exemples de ce genre abondent, ne serait-ce que chez Dante et les « Fidèles d’Amour »."
[31] "[...] il est arrivé souvent que les obscurités et même les contradictions soient parfaitement voulues, et que les détails inutiles aient expressément pour but d’égarer l’attention des profanes, de la même façon qu’un symbole peut être dissimulé intentionnellement dans un motif d’ornementation plus ou moins compliqué ; au moyen âge surtout, les exemples de ce genre abondent, ne serait-ce que chez Dante et les « Fidèles d’Amour »."
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