Ia. Quelques applications de la loi des correspondances


« In principio erat Verbum », lit-on au commencement de l’Évangile de saint Jean. Ce que René Guénon commente ainsi : « Le Verbe, le Logos, est à la fois Pensée et Parole : en soi, Il est l’Intellect divin, qui est le « lieu des possibles » ; par rapport à nous, Il se manifeste et s’exprime par la Création, où se réalisent dans l’existence actuelle certains de ces mêmes possibles qui, en tant qu’essences, sont contenus en Lui de toute éternité. La Création est l’œuvre du Verbe ; elle est aussi, et par là même, sa manifestation, son affirmation extérieure ; et c’est pourquoi le monde est comme un langage divin pour ceux qui savent le comprendre : « Cœli enarrant gloriam Dei » (Ps. XIX, 2). [...] Si le Verbe est Pensée à l’intérieur et Parole à l’extérieur, et si le monde est l’effet de la Parole divine proférée à l’origine des temps, la nature entière peut être prise comme un symbole de la réalité surnaturelle. Tout ce qui est, sous quelque mode que ce soit, ayant son principe dans l’intellect divin, traduit ou représente ce principe à sa manière et selon son ordre d’existence ; et ainsi, d’un ordre à l’autre, toutes choses s’enchaînent et se correspondent pour concourir à l’harmonie universelle et totale, qui est comme un reflet de l’Unité divine elle-même. »


Les évènements qui font le sujet de la présente étude, comme tout ce qui est, participent donc nécessairement des principes universels, et ne sont que par participation à ces principes. Ces derniers, d’ailleurs, se manifestent évidemment en tout temps et en tous lieux, d’une manière ou d’une autre ; et, en vertu de la loi de correspondance qui relie toutes choses dans l’Existence universelle, il y a toujours et nécessairement une certaine analogie soit entre les différents cycles de même ordre, soit entre les cycles principaux et les cycles secondaires. C’est pourquoi, comme l’enseigne l’émir Abd-el-Kader dans le 317ième de ses mawâqif, il n’est pas de prophète qui n’ait mis en garde sa communauté contre l’Antéchrist, ainsi qu’il est dit dans un hadith ; et nous ajouterons encore comme particulièrement digne de remarque au point de vue ou nous nous plaçons ici, que c’est ainsi également qu’on peut comprendre, dans le christianisme, la question des « préfigurations christiques » : « Ce qu’on appelle aujourd’hui religion chrétienne », écrit saint Augustin, « existait chez les Anciens et n’a jamais cessé d’exister depuis l’origine du genre humain, jusqu’à ce que, le Christ lui-même étant venu, l’on a commencé d’appeler chrétienne la vrai religion qui existait déjà auparavant » (Retract. I.XIII.3).


En outre, et ceci est encore plus important, l’analogie du « macrocosme » et du « microcosme » implique que tous les êtres et les évènements du monde extérieur aient leurs correspondances dans la constitution et la vie de chaque homme ; aussi chacun a en lui-même un Christ et un Antéchrist, et doit passer, comme le monde lui-même, par une « descente aux enfers », une mort, un jugement et une résurrection :


« Lorsque j’évoque dans mon livre que voici, ou ailleurs, un des évènements du monde extérieur, mon but est uniquement de l’établir fermement à l’oreille de celui qui écoute puis de le mettre en regard de ce qui, en l’homme, correspond à cela. […] Prends garde, cher frère, à ne pas t’imaginer que mon propos, dans l’ensemble de mes livres, serait d’exprimer autre chose que mon être et la voie de mon salut. »


Ces lignes, Ibn ‘Arabî les écrit précisément dans un livre où il est question du Christ et du Mahdi[1], lequel, d’après Michel Chodkiewicz, est désigné dans le titre même de l’ouvrage en question comme le « Soleil de l’Occident » ; et cette désignation, sur laquelle nous attirons particulièrement l’attention, pourra nous servir ici d’illustration, car le « redressement » ou « retournement » qui doit avoir lieu à la fin de la manifestation cyclique (laquelle peut être décrite, suivant la marche du soleil, comme s’effectuant de l’Orient vers l’Occident) est désigné comme le jour du renversement des pôles et du « lever du Soleil à son couchant », expression par laquelle on peut aussi désigner le jour où, comme le dit Abd-el-Kader, « le Soleil spirituel se dévoile et apparaît dans le lieu même où il s’était caché et occulté, c’est à dire dans l’âme, laquelle est le voile et l’occident du Soleil de la Réalité essentielle » (Mawqif 172 du Livre des haltes, trad. Chodkiewicz) ; et c’est à ce dernier lever que prépare avant tout l’œuvre de Guénon, envisagée indépendamment de circonstances historiques quelconques. C’est là surtout ce que nous voulions dire avec ces considérations préliminaires.


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[1] Le Mahdi, le « Bien dirigé », doit se manifester avant le retour  glorieux, afin de préparer les voies de Seyidna Aïssa, Notre Seigneur Jésus, dont on ignore évidemment pas que les musulmans attendent eux aussi le retour ; il semble n’être autre que le « Seigneur de la terre » dont il est parlé au ch. XI de l’Apocalypse, ainsi que le « Grand Prophète » qui dans l’Ancien Testament (Deutéronome, XVIII, 15-18 et Malachie, III, 1, par exemple) doit précéder le Messie, et dont le Nouveau Testament ravive l’espérance pour la fin des temps (Jean, VII, 40-41, et Actes, III, 22-23).

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