II. Le Catholicisme intégral

Les rapports de la Tradition primordiale et des traditions subordonnées, dont il nous faut parler avant tout, sont comparables à ceux du Principe et de ses noms ou attributs : le Principe est l’Essence de tous les noms divins, et la Tradition primordiale est l’essence et le cœur de toutes les formes traditionnelles ; les noms divins désignent tous le Principe, et les diverses formes traditionnelles représentent toutes la Tradition primordiale à l’égard des êtres auxquels elles sont chacune particulièrement destinées. D’ailleurs, la distinction des formes traditionnelles, comme du reste celle de toute chose, procède de celle même des noms divins ; et on peut dire des envoyés divins qu’ils sont chacun comme l’expression d’un de ces noms (« Benedictus qui venit in nomine Domini »), comme une face ou un aspect du Principe dans lequel les êtres appartenant à la tradition dont ils sont les fondateurs se mirent comme dans un miroir.[1]


Il est évident qu’à ce point de vue, il ne saurait y avoir d’opposition entre les différentes formes traditionnelles, mais seulement harmonie et complémentarisme : les noms divins, en effet, ne sont pas des « entités » séparées, mais des relations au sein d’un Principe unique, et ils restent forcément toujours en connexion les uns avec les autres ; cela n’empêche d’ailleurs pas qu’en même temps, et bien qu’ils soient réellement tous « un », la distinction n’en soit pas moins portée en eux à son suprême degré, car chacun est en quelque sorte tout entier la plénitude d’une qualité divine unique : si les êtres individuels, en tant que tels, sont tous plus ou moins uniformes, fragmentaires et « composites », le Père et le Fils de la Trinité, par exemple, sont chacun sans trace aucune de la qualité de l’autre, et sont, pourrait-on dire, la paternité et la « filéité » universelles, affranchies de toute limitation « séparative ». L’intégration des traditions subordonnées dans l’unité de la Tradition primordiale, dont nous allons avoir à parler, n’implique donc nullement leur annihilation, mais bien au contraire la réalisation de la plénitude de leurs possibilités respectives.


Puisqu’il vient d’être question de la Trinité, il est à noter que certains en ont fait correspondre les Personnes au Judaïsme, au Christianisme et à l’Islamisme respectivement[2], qui forment en effet, dans la filiation des différentes traditions, un ensemble étroitement lié où le complémentarisme, malgré les apparences, est assez marqué. On pourrait peut-être aussi comparer ce complémentarisme entre les traditions à celui de la multitude des points de vues que chacune, en vertu de l’analogie du tout et de la partie, comprend forcément en son sein même : ainsi, dans le christianisme, des dévotions « christique » et « mariale »[3] ; dans l’Inde, des Vishnouistes (de Vishnou, le principe animateur et conservateur des êtres) et des Shivaïstes (de Shiva, le principe « transformateur ») ; dans l’Islam, des êtres « Isawi » (de Jésus), « Musawi » (de Moïse), etc…


Toutefois, il convient de faire dès à présent une distinction capitale pour la suite de notre exposé : celle des traditions envisagées à l’état de possibilités permanentes dans leur source même, en tant qu’elles sont des aspects complémentaires de la Tradition primordiale, et des formes spéciales qu’elles peuvent revêtir à tel ou tel moment déterminé (cf. La crise du monde moderne, ch.IX). En effet, si les premières demeurent toujours pures, rattachées à Dieu, pourrait-on dire, les secondes n’en sont que des adaptations nécessitées par les circonstances de temps et de lieux, conformément aux lois cycliques, et elles peuvent dégénérer du fait de l’incompréhension des hommes, dégénérescence pouvant même aboutir à une véritable subversion ; et c’est ainsi que les anges deviennent des anges déchus[4].


***


Voici maintenant un passage de l’article que nous avons cité dès le début de la présente étude :



« Le Verbe divin s’exprime dans la Création, disions-nous, et ceci est comparable, analogiquement et toutes proportions gardées, à la pensée s’exprimant dans des formes (il n’y a plus lieu ici de faire une distinction entre le langage et les symboles proprement dits) qui la voilent et la manifestent tout à la fois. La Révélation primordiale, œuvre du Verbe comme la Création, s’incorpore pour ainsi dire, elle aussi, dans des symboles qui se sont transmis d’âge en âge depuis les origines de l’humanité ; et ce processus est encore analogue, dans son ordre, à celui de la Création elle-même. D’autre part, ne peut-on pas voir, dans cette incorporation symbolique de la tradition « non-humaine », une sorte d’image anticipée, de « préfiguration » de l’Incarnation du Verbe ? Et cela ne permet-il pas aussi d’apercevoir, dans une certaine mesure, le mystérieux rapport existant entre la Création et l’Incarnation qui en est le couronnement ? »


Qu’est-ce à dire (outre que la finalité ou accomplissement de tous les êtres est la réalisation de ce que représentent les symboles, et de toutes choses, dans la double nature de l'"Homme universel"), sinon que les traditions particulières sont des formes réfractées du Verbe révélé à l’origine ? Qu’elles en sont des aspects préfigurant sa manifestation intégrale à la fin du cycle ? Que le déploiement total et final des possibilités comprises dans la Révélation primordiale est analogue à cette Révélation originelle elle-même ? Cet enseignement, Guénon l’a développé à mainte reprises, et notamment, ce qui nous importe beaucoup ici, à travers le symbolisme du Soleil : « le Verbe est effectivement le « Soleil spirituel », c’est-à-dire le véritable « Centre du Monde » », écrit-il dans une note où il est fait allusion aux désignations du Christ comme Sol-Justitae et Lion de Juda (« le signe du Lion est, dans le Zodiaque, le domicile propre du Soleil »). Nous allons à présent citer quelques textes se rapportant à cet aspect du symbolisme solaire ; leur intérêt à tous n’apparaîtra peut-être pas immédiatement, mais l’œuvre de Guénon est ainsi faite, que tout y est lié de diverses manières, de sorte que nous retrouverons plus tard beaucoup des symboles dont il va être question maintenant :


« L’« Arbre de Vie » [du Paradis terrestre] se retrouve au centre de la « Jérusalem céleste », ce qui s’explique aisément quand on connaît les rapports de celle-ci avec le « Paradis terrestre »[5] : il s’agit de la réintégration de toutes choses dans l’« état primordial », en vertu de la correspondance de la fin du cycle avec son commencement, suivant ce que nous expliquerons encore par la suite. Il est remarquable que cet arbre, d’après le symbolisme apocalyptique, porte alors douze fruits[6], qui sont, comme nous l’avons dit ailleurs[7], assimilables aux douze Âdityas de la tradition hindoue, ceux-ci étant douze formes du soleil qui doivent apparaître toutes simultanément à la fin du cycle, rentrant alors dans l’unité essentielle de leur nature commune, car ils sont autant de manifestations d’une essence unique et indivisible, Aditi, qui correspond à l’essence une de l’« Arbre de Vie » lui-même, tandis que Diti correspond à l’essence duelle de l’« Arbre de la Science du bien et du mal »[8]. D’ailleurs, dans diverses traditions, l’image du soleil est souvent liée à celle d’un arbre, comme si le soleil était le fruit de l’« Arbre du Monde » ; il quitte son arbre au début du cycle et vient s’y reposer à la fin[9]. Dans les idéogrammes chinois, le caractère désignant le coucher du soleil le représente reposant sur son arbre à la fin du jour (qui est analogue à la fin du cycle) ; l’obscurité est représentée par un caractère qui figure le soleil tombé au pied de l’arbre. Dans l’Inde, on trouve l’arbre triple portant trois soleils, image de la Trimûrti, ainsi que l’arbre ayant pour fruits douze soleils, qui sont, comme nous venons de le dire, les douze Âdityas[10] ; en Chine, on trouve également l’arbre à douze soleils, en relation avec les douze signes du Zodiaque ou avec les douze mois de l’année comme les Âdityas, et quelquefois aussi à dix, nombre de la perfection cyclique comme dans la doctrine pythagoricienne[11]. D’une façon générale, les différents soleils correspondent à différentes phases d’un cycle[12] ; ils sortent de l’unité au commencement de celui-ci et y rentrent à la fin, qui coïncide avec le commencement d’un autre cycle, en raison de la continuité de tous les modes de l’Existence universelle. »


Comme autre texte significatif au point de vue où nous nous plaçons ici, on peut mentionner « Les sept rayons de l’arc en ciel » : issus du « Soleil spirituel », six rayons, formant une croix à trois dimensions, réalisent l’espace par leur extension dans les six directions, tandis que le « septième rayon » est le centre lui même ; à ces rayons correspondent les trois couleurs fondamentales et les trois couleurs complémentaires, placées respectivement aux pointes de deux triangles inversés, qui forment un « sceau de Salomon » dont le centre est la lumière blanche, principe et synthèse de toutes les couleurs :

« Le véritable septénaire est donc formé ici par la lumière blanche et les six couleurs en lesquelles elle se différencie ; et il va de soi que le septième terme est en réalité le premier, puisqu’il est le principe de tous les autres, qui sans lui ne pourraient avoir aucune existence ; mais il est aussi le dernier en ce sens que tous rentrent finalement en lui : la réunion de toutes les couleurs reconstitue la lumière blanche qui leur a donné naissance. On pourrait dire que, dans un septénaire ainsi constitué, un est au centre et six à la circonférence ; en d’autres termes, un tel septénaire est formé de l’unité et du sénaire, l’unité correspondant au principe non manifesté et le sénaire à l’ensemble de la manifestation. Nous pouvons faire un rapprochement entre ceci et le symbolisme de la « semaine » dans la Genèse hébraïque, car, là aussi, le septième terme est essentiellement différent des six autres : la création, en effet, est l’« œuvre des six jours » et non pas des sept ; et le septième jour est celui du « repos ». Ce septième terme, qu’on pourrait désigner comme le terme « sabbatique », est véritablement aussi le premier, car ce « repos » n’est pas autre chose que la rentrée du Principe créateur dans l’état initial de non-manifestation, état dont, d’ailleurs, il n’est sorti qu’en apparence, par rapport à la création et pour produire celle-ci suivant le cycle sénaire, mais dont, en soi, il n’est jamais sorti en réalité. »

On voit qu’ici, à certains égards, le symbole du « sceau de Salomon » est comparable à celui du Soleil à douze rayons dont il a été question plus haut à propos des douze Âdityas, qui doivent apparaître simultanément à la fin du cycle (douze étant d'ailleurs le double de six) ; bien que nous ne puissions encore faire ressortir toute l’importance de cette remarque, disons déjà que Guénon a rapproché avec insistance le « sceau de Salomon » du Verbe et du Christ (cf. par exemple Le Roi du Monde, ch.IV et Le Symbolisme de la Croix, ch.XXVIII).

Un dernier texte important dont nous retrouverons plus tard les symboles est celui sur « les mystères de la lettre Nûn » :

« Revenons maintenant à la forme de la lettre nûn, qui donne lieu à une remarque importante au point de vue des relations qui existent entre les alphabets des différentes langues traditionnelles : dans l’alphabet sanscrit, la lettre correspondante na, ramenée à ses éléments géométriques fondamentaux, se compose également d’une demi-circonférence et d’un point ; mais ici, la convexité étant tournée vers le haut, c’est la moitié supérieure de la circonférence, et non plus sa moitié inférieure comme dans le nûn arabe. C’est donc la même figure placée en sens inverse, ou, pour parler plus exactement, ce sont deux figures rigoureusement complémentaires l’une de l’autre ; en effet, si on les réunit, les deux points centraux se confondant naturellement, on a le cercle avec le point au centre, figure du cycle complet, qui est en même temps le symbole du Soleil dans l’ordre astrologique et celui de l’or dans l’ordre alchimique[13]. De même que la demi-circonférence inférieure est la figure de l’arche, la demi-circonférence supérieure est celle de l’arc-en-ciel, qui en est l’analogue dans l’acception la plus stricte du mot, c’est-à-dire avec l’application du « sens inverse » ; ce sont aussi les deux moitiés de l’« Œuf du Monde », l’une « terrestre », dans les « eaux inférieures », et l’autre « céleste », dans les « eaux supérieures » ; et la figure circulaire, qui était complète au début du cycle, avant la séparation de ces deux moitiés, doit se reconstituer à la fin du même cycle[14]. On pourrait donc dire que la réunion des deux figures dont il s’agit représente l’accomplissement du cycle, par la jonction de son commencement et de sa fin, d’autant plus que, si on les rapporte plus particulièrement au symbolisme « solaire », la figure du na sanscrit correspond au Soleil levant et celle du nûn arabe au Soleil couchant. D’autre part, la figure circulaire complète est encore habituellement le symbole du nombre 10, le centre étant 1 et la circonférence 9 ; mais ici, étant obtenue par l’union de deux nûn, elle vaut 2 × 50 = 100 = 102, ce qui indique que c’est dans le « monde intermédiaire » que doit s’opérer la jonction ; celle-ci est en effet impossible dans le monde inférieur, qui est le domaine de la division et de la « séparativité », et, par contre, elle est toujours existante dans le monde supérieur, où elle est réalisée principiellement en mode permanent et immuable dans l’« éternel présent ».

« À ces remarques déjà longues, nous n’ajouterons plus qu’un mot, pour en marquer le rapport avec une question à laquelle il a été fait allusion ici dernièrement[15] : ce que nous venons de dire en dernier lieu permet d’entrevoir que l’accomplissement du cycle, tel que nous l’avons envisagé, doit avoir une certaine corrélation, dans l’ordre historique, avec la rencontre des deux formes traditionnelles qui correspondent à son commencement et à sa fin, et qui ont respectivement pour langues sacrées le sanscrit et l’arabe : la tradition hindoue, en tant qu’elle représente l’héritage le plus direct de la Tradition primordiale, et la tradition islamique, en tant que « sceau de la Prophétie » et, par conséquent, forme ultime de l’orthodoxie traditionnelle pour le cycle actuel. »

Peut-être peut-on voir une dernière allusion à l’influence solaire dans ce qui est dit ici du « monde intermédiaire », car il s’agit là du monde d’ Hiranyagarbha, l’« Embryon d’or » dont il est question en note ; en outre, on voit que la jonction intérieure des traditions n’implique nullement leur fusion ou plutôt leur confusion dans le monde extérieur[16]. Quant à l’indication finale, il est curieux de constater que, si on l’applique seulement à l’ensemble indissociable formé par les trois religions abrahamiques[17], la tradition hindoue doit être remplacée par la tradition judaïque (selon certains, il y a justement une affinité particulière entre ces deux traditions, comme semblent d'ailleurs le confirmer les comptes rendus des conférences tenues par Guénon à l'Ordre du Temple Rénové) ; et la tradition chrétienne, occupant une position centrale[18], pourrait alors correspondre à la réalisation de la figure complète, qui est le signe alchimique du Soleil, auquel le Christ est si souvent associé, comme nous le verrons encore mieux par la suite.

Ce christianisme, cependant, ne saurait être celui que nous connaissons actuellement, non plus d’ailleurs qu’aucune autre tradition extérieure ; par contre, il a manifestement un rapport avec ce que Joseph de Maistre, dans son mémoire au duc Brunswick, a appelé le « Christianisme transcendant » qui, pour lui, était « la révélation de la révélation » ; voici un passage tiré de l’article que Guénon a consacré au projet de Joseph de Maistre :

« En somme, l’idée générale qui s’en dégage pourrait être formulée ainsi : sans prétendre aucunement nier ou supprimer les différences et les particularités nationales, dont il faut au contraire, en dépit de ce que prétendent les internationalistes actuels, prendre conscience tout d’abord aussi profondément que possible, il s’agit de restaurer l’unité, supranationale plutôt qu’internationale, de l’ancienne Chrétienté, unité détruite par les sectes multiples qui ont « déchiré la robe sans couture » puis de s’élever de là à l’universalité, en réalisant le Catholicisme au vrai sens de ce mot, au sens où l’entendait également Wronski, pour qui ce Catholicisme ne devait avoir une existence pleinement effective que lorsqu’il serait parvenu à intégrer les traditions contenues dans les Livres sacrés de tous les peuples [c’est nous qui soulignons]. »

« Sans doute », ajoute Guénon, « la Maçonnerie de la fin du XVIIIe siècle n’avait-elle déjà plus en elle ce qu’il fallait pour accomplir ce « Grand Œuvre », dont certaines conditions échappaient d’ailleurs très probablement à Joseph de Maistre lui-même ; est-ce à dire qu’un tel plan ne pourra jamais être repris sous une forme ou sous une autre, par quelque organisation ayant un caractère vraiment initiatique et possédant le « fil d’Ariane » qui lui permettrait de se guider dans le labyrinthe des formes innombrables sous lesquelles est cachée la Tradition unique, pour retrouver enfin la « Parole perdue » et faire sortir « la Lumière des Ténèbres, l’Ordre du Chaos » ? Nous ne voulons aucunement préjuger de l’avenir, mais certains signes permettent de penser que, malgré les apparences défavorables du monde actuel, la chose n’est peut-être pas tout à fait impossible ; et nous terminerons en citant une phrase quelque peu prophétique qui est encore de Joseph de Maistre, dans le IIe entretien des Soirées de Saint-Pétersbourg : « Il faut nous tenir prêts pour un événement immense dans l’ordre divin, vers lequel nous marchons avec une vitesse accélérée qui doit frapper tous les observateurs. Des oracles redoutables annoncent déjà que les temps sont arrivés. »

Cependant, la fin du cycle n’est pas achevée encore, et le temps n’est pas venu où, selon la parole du Christ, il n’y aura plus qu’un seul berger et un seul troupeau (Jean, 10.16). À cet égard, il est à remarquer que le passage du Symbolisme de la Croix que nous avons cité plus haut, sur le symbole du Soleil comme « fruit de l’arbre de vie », permet d’interpréter précisément les paroles du Christ à Marie-Madeleine au tombeau : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père ». Qu’on se reporte en effet à la note qui indique que le Soleil peut, d’une certaine façon, être dit « fils du Pôle » ; dans une lettre à Coomaraswamy, Guénon est plus net encore : « le Pôle = le Père, le Soleil = le Fils », écrit-il ; si donc le Christ n’était pas encore monté au Père, c’est qu’en tant que Soleil spirituel, « Suprême Ordonnateur et Générateur des cycles et des âges », il n’avait pas encore achevé sa course, et que le moment n’était pas venu encore où il pourrait reprendre sa place centrale sur le Pôle, se reposer au sommet de « l’arbre du monde », et apparaître enfin comme la clef de voûte couronnant l’édifice de l’histoire de notre humanité ; et c’est ce que nous allons voir plus en détail dans le prochain chapitre[19].

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[1] "« Lorsque deux ou trois seront réunis en mon nom, je serai au milieu d’eux » [...] Nous devons [...] appeler tout spécialement l’attention sur l’expression « en mon nom » qui se rencontre d’ailleurs si fréquemment dans l’Évangile, car elle semble n’être plus entendue actuellement qu’en un sens fort amoindri, si même elle ne passe à peu près inaperçue ; presque personne, en effet, ne comprend plus tout ce qu’elle implique traditionnellement en réalité, sous le double rapport doctrinal et rituel. [...] en toute rigueur, le travail d’une organisation initiatique doit toujours s’accomplir « au nom » du principe spirituel dont elle procède et qu’elle est destinée à manifester en quelque sorte dans notre monde [...] [ce nom] est toujours, en définitive, l’expression d’un aspect divin, et c’est une émanation directe de celui-ci qui constitue proprement la « présence » inspirant et guidant le travail initiatique collectif [...]."


[2] Joachim de Flore (dont Guénon a souligné les rapports avec les « Fidèles d’Amour »), divisa l’histoire humaine en trois grandes périodes, respectivement régies par le Père, auquel correspondait l’Ancien Testament et la contemplation, le Fils, auquel correspondait le Nouveau Testament et la dévotion, et le Saint-Esprit, auquel correspondait l’Apocalypse et l’action. En ce qui concerne les deux premières périodes, leur rapport avec les traditions judaïque et chrétienne semble assez évident (et l'on pourrait peut-être rappeler la distinction des attributs de Majesté (jâlal) et de Beauté (jâmal), de Rigueur et de Miséricorde, ainsi que le dernier verset de la sourate 48, Al-Fath) ; pour ce qui est de la dernière, nous citerons cet extrait d’une lettre de Guénon : « Dans la version arabe des Évangiles, la désignation du Paraclet est Ahmed, ce qui est le nom céleste du Prophète (Mohammed étant son nom terrestre, et Mahmûd son nom paradisiaque). A cause de cela, l’empereur Héraclius fut tout près de reconnaître la mission du Prophète ; il en fut seulement détourné par certains membres du clergé grec qui prétendirent qu’il y avait là une erreur d’interprétation. » (Cf. René Guénon - Fragments Doctrinaux, Rose-Cross Books, p.135)


[3] Qui d’une certaine manière correspondent respectivement aux conceptions inverses de l’ Avatâra et du Prophète, la première partant de la considération du principe qui se manifeste, tandis que la seconde part de celle du « support » de cette manifestation (cf. Er-Rûh).


[4] « Quand on parle du Catholicisme, on devrait toujours avoir le plus grand soin de distinguer ce qui concerne le Catholicisme lui-même en tant que doctrine et ce qui se rapporte seulement à l’état actuel de l’organisation de l’Église catholique ; quoi qu’on puisse penser sur cette dernière question, l’autre ne saurait nullement en être affectée. Ce que nous disons ici du Catholicisme, parce que cet exemple se présente immédiatement à propos de Dante, pourrait d’ailleurs trouver beaucoup d’autres applications ; mais bien peu nombreux sont aujourd’hui ceux qui savent, quand il le faut, se dégager des contingences historiques, à tel point que, pour continuer à prendre le même exemple, certains défenseurs du Catholicisme, aussi bien que ses adversaires, croient pouvoir tout ramener à une simple question d’« historicité », ce qui est une des formes de la moderne « superstition du fait ». » (Autorité Spirituelle et Pouvoir Temporel, ch.VIII)


[5] Le Roi du Monde., ch. XI. – La figure de la « Jérusalem céleste » est, non plus circulaire, mais carrée, l’équilibre final étant alors atteint pour le cycle considéré.


[6] Les fruits de l’« Arbre de Vie » sont les « pommes d’or » du jardin des Hespérides ; la « toison d’or » des Argonautes, également placée sur un arbre et gardée par un serpent ou un dragon, est un autre symbole de l’immortalité que l’homme doit reconquérir.


[7] Voir Le Roi du Monde, ch. XI, pp. 92-93.


[8] Les Dêvas, assimilés aux Âdityas, sont dits issus d’Aditi (« indivisibilité ») ; de Diti (« division ») sont issus les Daityas ou les Asuras. – Aditi est aussi, en un certain sens, la « Nature primordiale », appelée en arabe El-Fitrah.


[9] Ceci n’est pas sans rapport avec ce que nous avons indiqué ailleurs en ce qui concerne le transfert de certaines désignations des constellations polaires aux constellations zodiacales ou inversement (Le Roi du Monde, ch. X). – Le Soleil peut, d’une certaine façon être dit « fils du Pôle » ; de là l’antériorité du symbolisme « polaire » par rapport au symbolisme « solaire ».


[10] [Ajoutons ici un passage de la note du Roi du monde que nous avons mentionnée plus haut : « Le Soleil à douze rayons peut être considéré comme représentant les douze Adityas ; à un autre point de vue, si le Soleil figure le Christ, les douze rayons sont les douze Apôtres (le mot apostolos signifie « envoyé », et les rayons sont aussi « envoyés » par le Soleil). On peut d’ailleurs voir dans le nombre des douze Apôtres une marque, parmi beaucoup d’autres, de la parfaite conformité du Christianisme avec la tradition primordiale.]


[11] Cf. dans la doctrine hindoue, les dix Avatâras se manifestant pendant la durée d’un Manvantara.


[12] « Chez les peuples de l’Amérique centrale, les quatre âges en lesquels est divisée la grande période cyclique sont considérés comme régis par quatre soleils différents, dont les désignations sont tirées de leur correspondance avec les quatre éléments. »


[13] On pourra se rappeler ici le symbolisme du « Soleil spirituel » et de l’« Embryon d’or » (Hiranyagarbha) dans la tradition hindoue ; de plus, suivant certaines correspondances, le nûn est la lettre planétaire du Soleil.


[14] Cf. Le Roi du Monde, ch. XI.


[15] F. Schuon, Le Sacrifice, dans É. T., avril 1938, p. 137, note 2.


[16] « […] l'initiation comme telle n’est devenue nécessaire qu’à partir d’une certaine période du cycle de l’humanité terrestre, et par suite de la dégénérescence spirituelle de la généralité de celle-ci ; mais tout ce qu’elle comporte constituait antérieurement la partie supérieure de la Tradition primordiale, de même que, analogiquement et par rapport à un cycle beaucoup plus restreint dans le temps et dans l’espace, tout ce qui est impliqué dans le Taoïsme constituait tout d’abord la partie supérieure de la tradition une qui existait en Extrême-Orient avant la séparation de ses deux aspects ésotérique et exotérique. » (La Grande Triade, Avant-propos)


[17] « […] la doctrine enseignée par Mohammed n’est pas du tout un « éclectisme » ; la vérité est qu’il s’est toujours présenté comme un continuateur de la tradition judéo-chrétienne, en se défendant expressément de vouloir instituer une religion nouvelle et même d’innover quoi que ce soit en fait de dogmes et de lois (et c’est pourquoi le mot « mahométan » est absolument rejeté par ses disciples) » (compte rendu paru dans la Revue de philosophie, sept.-oct. 1921)


[18] On peut faire remarquer que, dans la correspondance des trois religions avec les Personnes de la Trinité, que nous avons signalée plus haut, le christianisme occupe aussi une position intermédiaire ; et il en est encore ainsi lorsque certains rapportent ces religions au ternaire de l’essence, des attributs et des actes (l'essence et les actes correspondant d'ailleurs ici respectivement à l'islam et au judaïsme). Cependant, nous devons dire que nous ne savons pas au juste ce que valent ces correspondances, bien que l’on puisse vraisemblablement rapprocher cette position « intermédiaire » de ce qu’Ibn ‘Arabî dit, à propos des chrétiens, de « l’unicité du dépouillement à partir d’une voie de la représentation (tariq al-mithâl) » (cf. Futûhât, ch.36, trad. Penot). En outre, certains font correspondre les traditions hindoue, islamique et chrétienne aux sphères de Saturne, de la Lune et du Soleil respectivement (cette dernière occupant une position centrale, les deux autres se situant symétriquement de part et d'autre).


[19] A propos de Marie-Madeleine : si elle prend tout d'abord le Christ pour un jardinier, ne serait-ce pas parce qu'elle pense au « jardin d'Eden » ? D'autre part, il est curieux qu’un ancien calendrier byzantin la mette en relation avec les Sept Dormants de la caverne d’Éphèse, dont le réveil à la fin du cycle, d’après certains, représente celui de sept traditions endormies par la misère des temps et l’incompréhension des hommes (les traditions sont en effet parfois mises en correspondance avec les sept cieux planétaires) : « Mémoire de sainte Madeleine… venue à Éphèse vers Jean le Théologien. C’est là qu’elle s’est endormie saintement et qu’elle fut placée à l’entrée de la caverne où les saints et bienheureux sept jeunes gens s’étaient endormis. » - Pour conclure, nous attirerons l'attention sur la fin de l'article Le grain de sénevé, et nous citerons encore ces lignes : « [...] beaucoup de vestiges d’un passé oublié sortent de terre à notre époque, et ce ne peut être sans raison. Sans risquer la moindre prédiction sur ce qui pourra résulter de ces découvertes, dont ceux qui les font sont généralement incapables de soupçonner la portée possible, il faut certainement voir là un « signe des temps » : tout ne doit-il pas se retrouver à la fin du Manvantara, pour servir de point de départ à l’élaboration du cycle futur ? » (Place de la tradition atlantéenne dans le Manvantara) Et encore : « En réalité, la seule union possible, c’est celle de tous les centres initiatiques orthodoxes qui ont conservé la vraie Tradition dans toute sa pureté originelle ; mais cette union n’est pas seulement possible, elle existe actuellement comme elle a existé de tout temps. Lorsque le moment sera venu, la Thébah mystérieuse où sont contenus tous les principes s’ouvrira, et montrera à ceux qui sont capables de contempler la Lumière sans en être aveuglés, l’édifice immuable de l’universelle Synthèse » (La Gnose et les écoles spiritualistes, signé Palingénius).

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