Extraits de lettres à Guido di Giorgio


« Ce que vous me dites de Padre Pio est vraiment bien curieux encore et donne bien l’impression qu’il doit y avoir là quelque chose qui sort de l’ordinaire ; n’oubliez pas de m’en reparler si vous apprenez autre chose, et surtout si vous réussissez à trouver le moyen de le voir. – D’un autre côté, il paraît qu’il y aurait eu, aux environs de Rome, une apparition de la Vierge sur laquelle les autorités ecclésiastiques font le silence ; avez-vous entendu parler de cela ? On me dit aussi qu’il s’est produit dernièrement en France plusieurs choses du même genre ; je dois dire que tout cela ne me paraît pas très rassurant, car ces manifestations ont trop souvent des “dessous” assez ténébreux ; mais, bien entendu, le cas de Padre Pio fait l’effet d’être quelque chose de tout différent. Je me demande aussi, à propos de ce dernier, si on s’en occupe plus ou moins officiellement à Rome, et si on lui est favorable ou défavorable ; cela ne prouve rien d’ailleurs, mais pourrait donner une indication sur les tendances qui prédominent actuellement dans le monde ecclésiastique. Sur ce qui se passe dans celui-ci, il m’est revenu des choses qui semblent indiquer un assez grand désordre et une pénétration de plus en plus accentuée des idées modernes... »

« J’ai été très intéressé par ce que vous me dites de Padre Pio et de la visite que vous lui avez faite ; il est heureux que vous ayez pu arriver finalement à surmonter pour cette fois votre horreur des voyages ! Il semble vraiment qu’il y ait là quelque chose de tout à fait extraordinaire à bien des égards ; cette ressemblance étonnante que vous lui avez trouvée avec Mohammed Kheireddin est bien étrange aussi… Que son rôle, comme vous le dites, soit tout autre que d’enseigner, cela n’a en somme rien d’invraisemblable ; il s’agirait plutôt, si je comprends bien, d’une sorte d’action qui s’exerce autour de lui par le fait de sa seule présence, ce qui fait penser au rôle des afrâd dans l’ésotérisme islamique (et il est bien entendu qu’il peut y avoir quelque chose de semblable dans toutes les formes traditionnelles). Quant à l’hostilité qui existe contre lui dans le clergé, je n’ai pas besoin de vous dire que je n’en suis nullement étonné ; c’est même plutôt le contraire qui serait surprenant, avec les tendances qui dominent actuellement. D’après tout ce qu’on me dit, les idées modernes gagnent de plus en plus de terrain dans les milieux ecclésiastiques de tous les pays ; croiriez-vous qu’il y a dans le clergé français un mouvement considérable pour demander l’adoption d’une liturgie en langue vulgaire ? Si les choses en arrivaient là, on peut se demander ce qui resterait encore de réellement valable au point de vue rituel… Autre symptôme : la revue “Études” des Jésuites français ne fait plus autre chose que de défendre le point de vue scientiste et évolutionniste ; on dit qu’ils ont été rappelés à l’ordre par Rome, mais qu’ils n’en ont tenu aucun compte ; et ce qui est encore pis, ils ont publié récemment une déclaration du cardinal Liénart en faveur de l’évolutionnisme ! Ce ne sont là que quelques exemples parmi beaucoup d’autres, et tout cela n’est malheureusement guère de nature à permettre un trop grand “optimisme” sur ce qui peut s’être conservé consciemment dans l’Église actuelle en plus de ce qu’on y voit extérieurement… Il est vrai qu’on ne sait jamais exactement ce qu’il peut y avoir encore dans certains monastères ; mais, même à cet égard, ce qu’en disent ceux qui sont mieux placés pour s’en rendre compte est loin d’être encourageant (il semblerait y avoir d’avantage à ce point de vue dans l’Église grecque orthodoxe). Au fond, je croirais plus volontiers seulement à l’existence en quelque sorte indépendante, ça et là, de quelques êtres exceptionnels, et ce Padre Pio semble bien en être un ; et tout ce qu’on peut sans doute espérer des autorités ecclésiastiques, c’est que du moins elles les laissent à peu près tranquilles et ne les empêchent pas d’exercer cette “action de présence” dont je parlais…

Pour cette apparition aux environs de Rome, depuis que je vous en avais parlé, on m’en a dit aussi d’un autre côté à peu près la même chose que vous, sauf que, d’après cette autre version, il ne s’agissait pas d’un communiste, mais d’un protestant. Il paraît d’ailleurs que les apparitions se multiplient un peu partout ces temps-ci ; on en a signalé aussi plusieurs en France. Je dois dire que je ne trouve pas cela très rassurant, car ces choses ont trop souvent des “dessous” assez suspects ; l’autorité ecclésiastique, dans les cas de ce genre, a certainement bien raison de se montrer très réservée, et même peut-être pas assez encore, car elle finit souvent, sinon par admettre officiellement, du moins par tolérer des choses qu’elle se laisse en quelque sorte imposer par la foule… – Je vous retourne, comme vous me le demandiez, les 2 coupures qui étaient jointes à votre lettre ; bien entendu, il y a toujours eu des choses de ce genre, mais ce qui est singulier, c’est qu’il y ait en ce moment une recrudescence de ces phénomènes plus ou moins extraordinaires ; faut-il y voir une réaction ou une compensation vis-à-vis du “rationalisme” de notre époque, ou y a-t-il à cela d’autres raisons ? Il est d’ailleurs évident que les phénomènes ne prouvent rien, mais ils frappent la généralité des gens, et c’est en cela qu’ils peuvent être utiles ou nuisibles suivant les cas, et suivant l’intention dans laquelle ils sont dirigés ; il ne faut jamais oublier, en effet, qu’il existe fréquemment une similitude extérieure entre les saints et les sorciers, et que “diabolos est sima Dei” dans ce domaine “phénoménique”…

Il va de soi que tous les doutes qu’on peut avoir sur l’état actuel de l’Église ne concernent pas une situation contingente, et que cela ne change rien quant à vos réflexions sur le Christianisme en lui-même ; ce sont là deux ordres de choses tout à fait différents. Aussi ne suis-je pas étonné des conséquences qu’a eu pour vous votre visite à Padre Pio, et sans doute cela valait-il mieux ainsi, car la pratique des rites d’une tradition est non seulement importante, mais même essentielle ; cela s’accorde tout à fait, comme vous avez pu le voir, avec ce que j’ai écrit moi-même sur la nécessité de l’exotérisme ; mais que de gens aujourd’hui ne peuvent pas ou ne veulent pas comprendre cela ! – Seulement, pour ceux qui veulent aller plus loin que l’exotérisme, il ne faut pas compter sur une aide quelconque de l’organisation ecclésiastique ; les quelques rares groupements où s’est gardé un ésotérisme chrétien authentique sont totalement ignorés de Rome, même quand ils comptent les prêtres parmi leurs membres ; et je ne parle pas d’une ignorance “officielle” qui pourrait se comprendre, mais d’une ignorance tout à fait réelle !

Pour ce que vous appelez les “intellectuels” catholiques, je crois que vous avez dû penser en particulier aux néo-thomistes, dont vous signalez par ailleurs l’hostilité à l’égard de Padre Pio ; de ceux-là, il n’y a sûrement rien à attendre comme compréhension profonde. Non seulement leur horizon est borné à un point de vue exclusivement “philosophique”, ce qui ne va pas loin en réalité, mais ils s’écartent de plus en plus du thomisme authentique, dont ils ont abandonné tout ce qui est trop difficile à accorder avec la science moderne, et que maintenant ils cherchent même à concilier avec cette nouvelle ineptie qui s’appelle l’“existentialisme”… »


J’ai été très intéressé par le récit de votre voyage, comme vous pouvez le penser ; mais c’est vraiment dommage que vous ayez dû encore vous faire accompagner par quelqu’un qui semble vous avoir plutôt gêné, et aussi, à un autre point de vue, que Padre Pio soit toujours aussi inabordable à cause de la foule, qui paraît même, d’après ce que vous dites, devenir encore de plus en plus énorme. Bien entendu, je pense tout à fait comme vous que tous ces gens ne peuvent rien comprendre d’une action profonde et ne voient rien d’autre que l’extérieur ; c’est déjà quelque chose qu’ils en reçoivent une certain influence ; évidemment, chacun en prend ce qu’il peut, et, puisque la chose est “publique”, il ne serait même pas concevable qu’il puisse en être autrement… Mais, pour lui-même, je comprends bien que le courant dirigé vers lui par cette foule fournisse un certain support à son action ; et ne pourrait-on pas dire que l’influence ressentie par ces gens, malgré leur incompréhension, en est comme la réciproque, ou comme une sorte de “choc en retour”, naturellement bénéfique ? – Ces mots ou ces sons qu’il prononce pendant la messe sont vraiment quelque chose de bien étrange ; mais ce qui est peut-être le plus étonnant, c’est qu’on le laisse ainsi libre de faire tout ce qu’il veut, même ce qui pourrait passer extérieurement pour des infractions à la liturgie ; il serait curieux de savoir ce que ses supérieurs peuvent voit réellement dans tout cela…

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